Avant-critique Bande dessinée

Lettres capitales. D'album en album, l'auteur de São Paulo Marcelo D'Salete construit une œuvre forte dans laquelle il revient sur le passé sombre de son pays. Toujours au plus près de la réalité historique, il s'intéresse plus particulièrement au sort des esclaves, à leurs conditions de vie, à leurs révoltes. Après Cumbe (Ça et Là, 2016) et Angola Janga (même éditeur, 2018), situés au XVIIe siècle, ce grand conteur d'histoires brode cette fois-ci une fiction autour d'une femme noire ayant réellement existé, Tiodora Dias da Cunha, née au début du XIXe siècle en Afrique. Emmenée de force au Brésil, séparée de son mari et de son fils, analphabète, elle fut esclave pendant des années chez un chanoine violent. En 1866, ne supportant plus sa condition et désireuse de retrouver enfin sa liberté, elle fit écrire des lettres destinées à son mari et à son fils, leur demandant une aide financière qui lui permettrait d'acheter son affranchissement. Apparemment peu de ses missives arrivèrent à destination, mais elles ont été retrouvées et c'est à partir de ce matériau brut que D'Salete tisse son récit.

Au centre de celui-ci, un jeune garçon, Béné, court la campagne pour essayer de transmettre une lettre de Tiodora. En route, il croisera un gamin raciste, assistera à la pendaison d'un esclave qui avait tenté de fuir, sera accueilli dans une communauté d'esclaves fugitifs, fera un bout de chemin avec un conducteur de troupeau... D'Salete, qui mêle habilement fiction et réalité, le fera aussi brièvement rencontrer deux autres personnages réels, un avocat abolitionniste noir et un ancien esclave devenu avocat lui-même et journaliste, qui permettent de donner quelques éclairages sur le contexte historique. En parallèle, on suit la douloureuse destinée de Tiodora, certes déterminée mais terriblement angoissée à l'idée que ses lettres n'arrivent jamais.

Ce récit accessible est sublimé par le trait de D'Salete qui puise plus que jamais dans l'expressionnisme, rappelant les woodcut novels (romans graphiques muets en gravure sur bois) du début du XXe siècle. De nombreuses séquences impressionnantes sont d'ailleurs quasiment sans paroles, comme la traversée d'un cimetière de fortune par Béné. Un dossier historique très fourni complète cet album émouvant qui célèbre le rôle de l'écriture, porteuse d'espoir et synonyme de liberté.

Marcelo D'Salete
Mukanda Tiodora
Ed. çà et là
Tirage: 2 200 ex.
Prix: 23 € ; 224 p.
ISBN: 9782369903246

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