Au-delà des apparences. Dans une ville morne, aux bâtiments sans âme, aux habitants pressés, un enfant a disparu. La police enquête, se rendant d'abord au campement des Roms situé en périphérie. Là, le regard d'un des flics, Joël, croise celui d'une jeune veuve, Yuna. Instantanément, Joël a une vision, celle d'un squelette dans un champ à proximité, en 1972. Une vision qui correspond bel et bien à un cold case, et qui sera suivie par d'autres chaque fois que Joël se retrouvera en présence de Yuna. Désireuse de se rendre utile et d'échapper à l'emprise de sa belle-famille, celle-ci se laisse convaincre de mettre son don au service de la police. Le mystérieux phénomène va alors bouleverser plusieurs vies, dont celle d'un jeune soudeur discret sur son passé.

La scénariste Anne Baraou, remarquée pour Une demi-douzaine d'elles avec Fanny Dalle-Rive au dessin (L'Association, 2002-2008) et le prolifique Vincent Vanoli, déjà deux fois nominé à Angoulême, collaborent pour la première fois dans cet album qui témoigne à la fois de leur maîtrise narrative et de leur humanisme. Dans ce faux polar, en réalité un récit aux accents de réalisme magique, les auteurs introduisent le fantastique dans un univers familier et banal - un procédé dont est coutumier Vincent Vanoli. Ici, c'est pour mieux déconstruire les clichés généralement associés aux personnages représentés, pour montrer combien il ne faut pas se fier aux apparences. À travers Yuna et Joël, qui luttent chacun contre les préjugés (le flic se défend d'être raciste, la jeune Rom se défend d'être soumise à sa communauté), les auteurs chantent le libre arbitre, la liberté. Il est question de se fabriquer une autre vie, d'oser s'affranchir, de respecter les choix des autres, de faire fi des regrets et des non-dits. En arrière-plan, Anne Baraou et Vincent Vanoli évoquent avec subtilité de nombreuses autres thématiques : la mort et le deuil impossible, la transidentité, l'entraide, le pouvoir des rêves, le mal-être au travail (notamment à travers une allusion au suicide d'un policier). Le dessin de Vincent Vanoli, charbonneux, expressionniste, mélancolique, dépeint à merveille l'irruption de l'extraordinaire dans le quotidien. Sous son trait tordu, on a l'impression de voir les personnages se contorsionner pour échapper à leur vie. Avec onirisme, les auteurs subliment la chronique sociale.