En prison, elle n'avait pas d'encre, enfin pas toujours. Lin Zhao (1932-1968) a donc utilisé son sang pour raconter son histoire. Pour marquer les esprits aussi. Avec ce corps comme mode opératoire de sa contestation, ce corps déjà mis à rude épreuve par les tortures et sans doute le viol, elle offre de façon radicale un témoignage christique contre la dictature de Mao. Elle avait pourtant cru en la révolution. Elle fut même fanatique au tout début. Après la Seconde Guerre mondiale, dans un pays en ruine, la jeune journaliste fit l'apprentissage de la violence et de la cruauté. Au nom du communisme, elle n'hésite pas à condamner à mort un propriétaire terrien. « En le voyant mourir sous les balles, je me sentais aussi enthousiaste que ceux qui avaient directement souffert par leur faute. » Puis, à force de voir les hommes tomber, le doute s'est installé. Cette chrétienne, qui se distingue par son élégance, ne l'a pas supporté. Le Grand Timonier non plus après les premiers articles critiques publiés dans Le Quotidien du Peuple. Ilfit jeter la poète en prison. Elle n'en est jamais sortie. « J'ai peur... peur de leurs questions, peur de leurs rires, peur qu'ils viennent me parler, peur qu'ils ne viennent m'aider... »
Anne Kerlan relate ce destin inouï avec beaucoup de sensibilité, sans tomber dans l'hagiographie. Directrice du Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine (CNRS), elle a consulté de nombreux documents personnels et des manuscrits inédits dont ces fameuses lettres de sang. Dans son enquête fouillée, elle ajoute une autre victime à cette tragédie qui détruisit la famille. Sa mère, Xu Xianmin, elle aussi militante réformatrice, finit sa vie comme une folle errante à qui on n'adressait plus la parole dans les rues de Shanghai. Durant sept ans de détention, Lin Zhao, s'est lacérée une main en guise d'encrier pour écrire avec l'autre. « Moi, combattante de la liberté », déclarait-elle. Les centaines de milliers de caractères représentent 380 pages dactylographiées. Cela donne une idée de son calvaire et du sang versé. « Je ne peux continuer de parler politique avec ces fous qui ne connaissent rien à la vie et n'ont aucune morale. »
Elle a été réhabilitée en 1981 sous Deng Xiaoping. Mais dans la Chine de Xi Jinping, sa tombe à Suzhou fait l'objet d'une surveillance particulière, notamment à la date anniversaire de sa mort.
Le rouge est bien la couleur qui ressort de cette étude passionnante : rouge du communisme, rouge du sang qu'il a fait couler, rouge de la passion de cette femme libre qui s'investit tout entière dans ce combat. « Le corps devient un écran où se projette la vérité du pouvoir répressif. »
Anne Kerlan le montre fort bien. « Le combat de Lin Zhao est un tout, des chants aux grèves de la faim, des cris aux textes, il a sa cohérence. L'écriture y est centrale. » Le drame aussi.
Terriblement affaiblie, elle est fusillée le 29 avril 1968, à l'âge de 35 ans, quelques jours avant que des étudiants en France ne fassent référence au maoïsme anti-autoritaire... Après sa mort, le 1er mai, un agent de la Sécurité publique vient réclamer à sa mère cinq centimes : le prix de la balle qui avait servi à son exécution.
Lin Zhao : combattante de la liberté
Fayard
Tirage: 1 800 ex.
Prix: 24 euros ; 384 p.
ISBN: 978-2-213-66132-2