Il y a six mois aux Etats-Unis, Brian Gartside, jeune designer de l’université de Virginie, inventait le drinkable book (livre à boire), dont les pages permettent de purifier les eaux impropres à la consommation dans les pays en développement. Il y a un mois à Londres, neuf jeunes artistes performeurs déconstruisaient le livre en imaginant, par exemple, un livre qui peut se lire à deux en face à face, un livre en matériaux intelligents réagissant à la lumière pour permettre à son utilisateur d’en créer différentes versions, ou encore un livre dont le texte se noie dans son encre au bout de quatre heures.
Humanitaires, artistiques, subversifs et dans tous les cas plutôt cocasses, les nouveaux usages et les nouveaux regards portés sur le livre laissent perplexe. Ils accompagnent le mouvement de sa dématérialisation qui glace Lucien X. Polastron, entre description d’une apocalypse et espoir d’un renouveau dans sa savante et polémique Brève histoire de tous les livres à paraître dans dix jours.
Ils soulignent que les maladies du livre, loin de l’achever, le replacent au contraire, fût-ce sous des formes très différentes de celles qu’on a connues par le passé, au cœur des enjeux politiques, sociaux et culturels d’aujourd’hui.
Il est ainsi symptomatique que deux livres fort différents, mais tous deux considérés comme révélateurs de nos pathologies nationales, occupent depuis deux mois le devant de la scène médiatique comme la tête des palmarès de meilleures ventes, faisant passer au second plan, sans l’effacer pour autant, une rentrée littéraire particulièrement riche et réjouissante. La best-sellerisation dont ils bénéficient fut à une époque elle aussi stigmatisée comme une maladie du livre. Son installation comme un phénomène chronique conduit plutôt aujourd’hui à espérer sa contagion.
Que cent best-sellers s’épanouissent !