Réintroduire le loup gris dans le nord-ouest de l’Angleterre, sur un territoire d’où il a disparu, exterminé il y a près de cinq siècles : "une extravagante foucade écologiste", un caprice auquel la zoologue britannique Rachel Caine qui travaille depuis une dizaine d’années dans une réserve indienne de l’Idaho, loin de cette Combrie natale, ne veut pas céder. Aussi commence-t-elle par refuser la proposition d’embauche du comte Pennington, un richissime excentrique, membre de la Chambre des lords, qui a le projet de réacclimater le prédateur dans son immense domaine d’Annerdale situé dans le Lake District, une région de lacs et de massifs montagneux, limitrophe de l’Ecosse d’où, comme son héroïne, est originaire l’écrivaine anglaise Sarah Hall.
Mais la mort de la mère de Rachel et sa grossesse accidentelle à l’approche de la quarantaine vont faire changer d’avis cette célibataire sans attaches et jalouse de son indépendance qui entretenait des relations distantes avec sa fantasque génitrice Binny "communiste en plein bastion conservateur. Vigoureuse sensualiste autoproclamée". Elle accepte donc la mission de consultante et s’installe dans un cottage sur la propriété. Une équipe se forme composée d’un vétérinaire local, de la fille du comte et d’un jeune Sud-Africain bouddhiste bardé de diplômes.
Bien que précisément documenté, La frontière du loup n’est pas un traité d’éthologie, ni une métaphore sociale littérale. Le loup, "prédateur de niveau cinq" en son nouveau domaine, est à la fois catalyseur de peurs archaïques, sujet de paranoïa et de fascination, fantasme d’un monde sauvage perdu. Plusieurs longs processus parallèles sont patiemment observés : la gestation de l’enfant, l’isolement durant six mois pour le couple de loups arrivés de Roumanie par avion, la reconstruction des liens de Rachel avec son demi-frère cadet sur fond de campagne pour l’indépendance du voisin écossais - dans la fiction, le oui l’emporte par référendum.
Sarah Hall excelle dans la façon dont elle s’empare de grands sujets - l’écologie, la maternité - par un biais tout à fait pratique. L’énergie de son style, avec ses nombreuses phrases sans verbe, épouse l’expertise pragmatique de son héroïne qui affronte un tournant existentiel sans sentimentalisme ni romantisme. Tout en célébrant la beauté rustique d’une campagne où l’on peut vivre "les quatre saisons en une seule journée". Capable de maintenir une tension dramatique sur près de 500 pages qui couvrent un peu plus de vingt-quatre mois dans la vie d’une "gardienne de loup", la romancière finaliste de plusieurs prestigieux prix littéraires, et dont le recueil de nouvelles La belle indifférence (Bourgois, 2013) avait reçu le prix Edge Hill University 2012, signe un prenant roman politique. Véronique Rossignol