C’est une petite fille qui vole. Les lecteurs de Deux amantes au Caméléon, le nouveau roman de Francine Prose, découvrent Lou Villars, encore enfant, entre ciel et terre alors que son grand frère, atteint de graves troubles psychiatriques, a entrepris de la faire tomber d’une balançoire. Le reste du livre ne sera plus qu’une longue chute… Jusqu’à ce jour de 1944 où les balles de la Résistance mirent fin à la trajectoire de celle qui fut à la fois une figure du mal et de la cause des femmes. Entre-temps, au fil d’une existence dissolue, il y avait eu les exploits sportifs, la compétition automobile, les amours saphiques, la rencontre aux JO de Berlin avec le nazisme, Hitler et Picasso en fond de scène, la collaboration, un permanent travail de recréation de soi-même vers toujours plus de monstruosité. Et puis aussi, le Caméléon, phalanstère transgenre de tout ce que Paris compte alors d’amateurs de travestissement et d’ombres obscures, d’hommes qui s’avouent femmes, de lesbiennes en smoking et d’artistes attirés par ce pandémonium. Parmi eux, Gabor Tsenyi, un photographe hongrois pour qui Paris restera une fête, et Lionel Maine, un écrivain américain qui ne se laisse abuser que par ses sens.
Francine Prose a choisi de ne pas donner à ses personnages leur véritable identité. Lou Villars, c’est Violette Morris, cette "Butch" avant l’heure qui se fit couper les seins pour pouvoir mieux piloter ses bolides de course. Tsenyi, c’est Brassaï, Maine, Henry Miller. Qu’importe, son roman, travelling amoureux le long d’une époque, est passionnant de bout en bout, allant jusqu’à épouser les ambiguïtés de son héroïne. Edmund White ne s’y est pas trompé qui en a souligné la beauté. O. M.