Géologies est un récit bref, ténu de nuances. Mais comme chacun sait, en littérature le nombre de pages est sans grand rapport avec la qualité de l’œuvre ni l’ennui qu’elle procure. Ainsi le dit si justement Cocteau : Proust n’est pas long et Adolphe de Benjamin Constant n’est pas court. L’effet produit par le texte de Pierre Bergounioux demeure longtemps après qu’on l’a lu.
L’auteur de Miette en égrenant les souvenirs de sa natale Corrèze continue de creuser une question - le rapport entre culture et nature - qui innerve son œuvre : la possibilité d’un déterminisme social rédimé par les sentiers de l’écriture. Il raconte comment, originaire de ces « terres moins bonnes », où les livres ne parvenaient qu’« en petites quantités et de façon aléatoire », le jeune élève qu’il fut commença à s’intéresser à la culture et à la littérature. Envoyé dans un internat de garçons, il est confronté à un autre monde : « Le changement de milieu, les variations de la rente foncière, en diffractaient le contenu. Les mots étaient les mêmes mais ils renvoyaient à des choses différentes ou, plus insidieusement, d’une façon différente aux choses. » C’est l’expérience de l’aliénation qui forge un destin d’écrivain. Face à l’hiatus entre les mots et les choses : s’étonner, s’émerveiller, mais également travailler le déroutant écart.
Bergounioux se souvient de la bande de copains biologistes, champions de l’abolition de la propriété privée. Mais la révolution de l’auteur né en 1949 à Brive-la-Gaillarde est tout autre. C’est un retour sur soi et une interrogation du mystère premier de la terre natale. Bergounioux se rappelle aussi cette passion ancienne pour la géologie. Comme si l’étude du sol dont vous êtes originaire vous permettait de vous libérer de ce dont vous êtes constitué : « Si connaître une chose consiste à en relever les contours, on voit quel bénéfice associé s’ensuit. […] J’ai pensé que si je comprenais pourquoi le séjour du pays natal me tirait vers les heures mortes, la tristesse, j’échapperais dans une certaine mesure à leur empire parce que je ne serais plus le même. »
Sean J. Rose