Si l’on en croit la postface d’Arno Bertina, Denis Jampen, né en Suisse en 1956, est arrivé à Paris au début des années 1970. Fasciné par les éditions de Minuit, c’est là qu’il rêve d’être publié. Auteur de deux romans, l’un, La fenêtre aux ombres est paru chez un petit éditeur suisse, qui a fait faillite. L’autre, Héros, ne paraîtra jamais. En dépit du fait que le jeune écrivain s’était mis à fréquenter le "tout-Minuit", Hervé Guibert, Eugène Savitzkaya ou Mathieu Lindon, avec qui il codirigeait Minuit, petite revue d’avant-garde à qui il donnera quelques textes. On ne sait trop pourquoi Jérôme Lindon, éditeur de nombre d’écrivains gays "transgressifs", a résisté au charme vénéneux de Héros. Toujours est-il que, achevé en 1979, le roman était resté inédit, l’auteur étant parti se perdre dans les paradis asiatiques, Bangkok, où il est mort en 2005.
Héros, imprégné par la guerre du Vietnam, se situe dans une Asie détruite par un tremblement de terre. Au bord de la mer ou dans un parc, dans quelques bâtiments encore debout, des "guerriers", Frantz, Paco, Kenys, Harlik, Ath et Meyrik, "gardiens victimaires d’adolescents", font subir à leurs captifs viols, tortures et exécutions. Entre eux aussi, de multiples relations sexuelles se nouent. Du côté des habitants, une seule femme en sarong, repêchée alors qu’elle se noyait, et un pêcheur qui, amant de cœur de Kenys, finira exécuté.
Tout, dans Héros, est amour, souffrance, mort, raconté dans un style extraordinaire. Denis Jampen dynamite la syntaxe classique, pour inventer "une phrase baroque en tout point, aux segments enchevêtrés", tente d’expliquer le postfacier. On pense au Rimbaud des Illuminations, à Genet, surtout au Guyotat de Tombeau pour 500 000 soldats, inspiré par la guerre d’Algérie, paru en 1967, et que Jampen connaissait forcément. Héros est un chef-d’œuvre dérangeant, envoûtant, qui méritait, comme son auteur, sa résurrection. Il semble que Jampen ait écrit un troisième roman, L’eau de feu, qui a pour toile de fond le Mexique, où il a séjourné en 1979. J.-C. P.