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L'obligation de diffusion active des éditeurs définie par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence

Photomontage Chum éditions - Photo DR

L'obligation de diffusion active des éditeurs définie par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence

Le 26 mars dernier, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu une décision significative quant à aux obligations de promotion et de diffusion des éditeurs. Ceux-ci sont tenus d'accomplir des démarches concrètes, effectives et régulières pour promouvoir les ouvrages qu'ils publient. Explications.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 14.04.2025 à 14h34

Par un arrêt rendu le 26 mars 2025 (RG 20/13029), la Cour d'appel d'Aix-en-Provence vient préciser de manière significative les contours des obligations contractuelles incombant aux éditeurs en matière de promotion et de diffusion d'œuvres littéraires. Cette décision importante s'inscrit dans un cadre jurisprudentiel plus large visant à maintenir l'équilibre nécessaire entre les intérêts des auteurs et ceux des éditeurs, conformément aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle. L'arrêt offre une analyse approfondie des notions de diffusion active et d'exploitation suivie, essentielles à la bonne exécution des contrats d'édition.

Une résiliation abusive ?

En l'espèce, Henri Weigel avait conclu deux contrats distincts d'édition avec la société éditrice SAS Les Éditions Chum, portant respectivement sur deux ouvrages différents. Après plusieurs années, l'auteur a considéré que l'éditeur manquait gravement à ses obligations contractuelles, notamment en matière d'exploitation continue et de promotion active des ouvrages publiés. Suite à une mise en demeure demeurée sans réponse satisfaisante, l'auteur a décidé de résilier unilatéralement les deux contrats.

Réagissant à cette résiliation, la société éditrice a assigné l'auteur devant le Tribunal judiciaire de Marseille afin d'obtenir réparation des préjudices résultant de la rupture unilatérale et brutale des contrats par son auteur, avec interdiction de publier les livres dont elle avait acquis les droits, ainsi que de sa déloyauté tant dans l'exécution des contrats que dans les conditions de la rupture, en raison du dénigrement dont elle a fait l'objet auprès des autres auteurs et de son diffuseur, la société Hachette. En première instance, le tribunal avait donné raison à l'éditeur, considérant la résiliation comme abusive et condamnant l'auteur à réparer le préjudice subi. L'auteur a alors fait appel de cette décision devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

L’obligation de promotion, de diffusion active et d’exploitation suivie

Dans un premier temps, la Cour a estimé que les Éditions Chum se prévalant d'une résiliation fautive du contrat par Henri Weigel, il leur appartenait de démontrer que les conditions prévues par le code de la propriété intellectuelle et les clauses du contrat d’édition n’étaient pas réunies, de sorte que la résiliation n'était pas justifiée.

Ainsi, le courrier de résiliation ne comportait pas de griefs précisément énoncés, faisant uniquement référence à une mise en demeure, laquelle dénonçait une absence de diffusion du livre Les Fruits Amers depuis juillet 2015, et une absence totale de diffusion pour le livre Le Glaive de Némésis, outre un défaut de publication des oeuvres au format numérique, et mettait en demeure Les Éditions Chum de « mettre en place dans votre organisation, une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession, pour ce qui concerne mes deux livres en référence et de se conformer aux engagements en termes d'exploitation de l’oeuvre sous forme numérique ».

En effet, Henri Weigel reprochait aux Éditions Chum de ne pas avoir suffisamment mis en oeuvre d'actions de promotion qui découlent de l'obligation légale et contractuelle de l'éditeur d'assurer une exploitation permanente et suivie de l'oeuvre et d'en assurer une diffusion commerciale conforme aux usages de la profession.

Dispositions nécessaires

Dans son arrêt, la Cour a rappelé que la diffusion de l'ouvrage n'est possible qu'autant que l'éditeur prend toutes les dispositions nécessaires pour porter à la connaissance du public l'existence de l'oeuvre et l'inciter par là-même à l'acquérir, de sorte que l'obligation de diffusion implique nécessairement l'obligation d'assurer la promotion de l'oeuvre. Néanmoins, l'effort de promotion de l'éditeur dépend nécessairement de la nature de l'oeuvre et du chiffre d'affaires envisagé, ainsi que de la taille de la maison d'édition et de la notoriété de l'auteur.

Par ailleurs, la Cour a jugé que, pour apprécier si l'obligation de promotion avait été respectée, il fallait se reporter aux dispositions contractuelles. En l’espèce, le contrat prévoyait que : « à compter de la publication de l'oeuvre, l'éditeur est tenu d'assurer une diffusion active de l'ouvrage afin de lui donner toutes ses chances de succès auprès du public. A cet effet, il devra présenter l'ouvrage sur ses catalogues papier et numérique ; présenter l'ouvrage comme disponible dans au moins une des principales bases de données interprofessionnelles répertoriant les oeuvres disponibles commercialement ; rendre disponible l'ouvrage dans une qualité respectueuse de l'oeuvre et conforme aux règles de l'art, quel que soit le circuit de diffusion ; satisfaire dans les meilleurs délais les commandes de l'ouvrage ».

Mailings aux libraires et aux journalistes

Pour démontrer l'exploitation et le suivi de l'oeuvre, les Éditions Chum justifiaient de la communication par l'agence de presse Edissio pour la promotion du livre Les Fruits Amers, d'une communication par mailing auprès de 5 000 libraires et 212 journalises, d'un dossier de presse concernant le livre Les Fruits Amers, d'extraits de bases de données interprofessionnelles, et de catalogues de librairies en ligne de sociétés notoirement connues justifiant de la mise à disposition des deux livres, ainsi que de sa participation à divers salons littéraires.

Mais la Cour a fait observer que l'ensemble de ces éléments était antérieur à la publication de l’ouvrage, alors que le caractère permanent de l'exploitation requise impliquait à la fois la durée et l'absence de discontinuité. En outre, si les livres étaient disponibles sur demande dans toutes les librairies physiques, sur Internet, et sur une centaine de librairies en ligne pour sa version numérique, la Cour a estimé que cela ne permettait pas de démontrer les actions de promotion concrètement mises en oeuvre par les Éditions Chum, et ce alors qu'il n'était pas contesté par cette dernière que Henri Weigel avait réalisé par lui-même des opérations de promotion de ses ouvrages, estimant les prestations de son éditeur insuffisantes.

En l'absence de tout document démontrant tant les actions de promotion qu'elle a concrètement mises en oeuvre, que la permanence de l'exploitation au-delà du mois de publication du livre, la Cour jugeait que les Éditions Chum n’avaient donc pas justifié avoir respecté leur obligation de diffusion commerciale conformément aux usages de la profession, un tel manquement justifiant non seulement la résiliation du contrat, mais engageant également sa responsabilité contractuelle.

Enfin, la Cour estimait que le préjudice subi par l’auteur ne pouvait être que celui né de l'espérance de droits d'auteur supérieurs qu'aurait pu générer une présentation promotionnelle des ouvrages. Au vu du nombre d'exemplaires vendus (177 en 2016, 193 en 2017 et 66 en 2018), et du nombre d'exemplaires imprimés, la Cour a fixé le préjudice de Henri Weigel à la somme de 3 000 euros.

Portée jurisprudentielle de l'arrêt

Cet arrêt revêt une importance jurisprudentielle notable en précisant explicitement les exigences imposées aux éditeurs. La Cour affirme clairement que la seule mise à disposition de l'œuvre dans des catalogues ne satisfait pas à l'obligation de diffusion active. Elle définit ainsi une ligne jurisprudentielle stricte en matière d'obligations promotionnelles, enjoignant aux éditeurs d'accomplir des démarches concrètes, effectives et régulières pour promouvoir activement les ouvrages qu'ils publient. Cette décision renforce par ailleurs la protection des auteurs, leur offrant un levier efficace pour agir en cas de carence manifeste de l'éditeur, garantissant une exploitation optimale de leurs créations littéraires. Cette jurisprudence pourrait avoir un impact significatif sur les pratiques éditoriales futures, incitant les éditeurs à une vigilance accrue dans l'exécution de leurs obligations.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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