délais

Les grands distributeurs déploient d'importants moyens pour améliorer leurs délais de livraison, sans toujours s'accorder sur la nécessité de hiérarchiser entre commandes urgentes et non urgentes. Les petites et moyennes structures, moins pourvues en technologies de pointe, misent davantage sur la régularité du service.

Les distributeurs ne sont pas égaux face aux délais. Leur rapidité dépend de la disponibilité des stocks sur site et du degré d'automatisation des chaînes de préparation. Si l'essentiel des livres est en général disponible dans les entrepôts où sont remplis les colis, une partie des ouvrages, de fonds essentiellement, doit souvent être récupérée dans des sites secondaires. Il en résulte un allongement parfois sensible du délai de livraison final. Certes, l'apparition de nouvelles technologies capables de coordonner la préparation et l'approvisionnement permet d'améliorer le temps de préparation des commandes... mais à condition d'avoir tout le stock à disposition. C'est ce qui pousse nombre d'éditeurs à agrandir leurs entrepôts ou à se doter de sites secondaires plus rapprochés.

Diversité des territoires

Ces investissements répondent néanmoins à des conceptions variables du degré d'urgence de la livraison. Les dernières Rencontres nationales de la librairie à Angers l'ont bien montré : alors que les librairies des grandes villes font face à la pression croissante de clients habitués à tout recevoir très vite par le commerce en ligne, les points de vente du reste du territoire se montrent globalement moins sensibles à la rapidité du délai. Au sein d'une même librairie, les attentes peuvent également varier en fonction de la nature des titres (nouveautés, réassort, commandes client...). « Les besoins des libraires ont évolué, et il serait faux de croire que tous ont exactement les mêmes attentes, note Philippe Lamotte, directeur de la branche Services et Opérations d'Hachette Livre. La capacité à livrer dans un délai très court est un facteur de sécurisation de la relation avec le client, particulièrement sensible en milieu urbain, mais son urgence se fait parfois moins sentir en zone périurbaine ou rurale, comme on a pu l'entendre aux RNL d'Angers cet été. »

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Michèle Benbunan, directrice générale d'Editis.- Photo OLIVIER DION

Confrontés à cette pluralité de perceptions, les distributeurs sont tenus d'arbitrer. Madrigall, par exemple, propose depuis peu aux libraires de hiérarchiser leurs commandes, ce qui lui permet aussi de mieux gérer les périodes de pics. « 30 % de l'activité de la semaine repose sur les commandes du week-end, décrypte Dominique Wettstein, directeur général distribution chez Madrigall. Nous sommes capables, en faisant travailler nos équipes de nuit, de préparer le lundi matin entre 50 et 80 % des commandes pour les clients Prisme. Comme le reste est traité le mardi ou le mercredi, il est important de savoir ce qui est urgent et ce qui ne l'est pas. » Pour ce faire, Madrigall a mis en place en juillet dernier un service de commande en 24 heures pour la Sodis, étendu en septembre à Union Distribution (UD). Matérialisé par un onglet « **24 », le dispositif concerne environ 15 % des commandes. « Les libraires n'en abusent pas, c'est ce qui nous permet d'absorber en priorité les urgences le lundi matin », ajoute Dominique Wettstein.

Répartir les flux

A contrario, Interforum ne distingue pas l'urgent du non urgent. « Nous n'allons pas demander aux libraires de passer deux commandes », souligne Michèle Benbunan, directrice générale d'Editis. Le distributeur s'est engagé à livrer tous ses colis en 24 heures d'ici fin 2023 et s'est pour cette raison lancé dans un plan de modernisation de sa chaîne de préparation (lire p. 39). Hachette Distribution n'est pas davantage favorable à la hiérarchisation des commandes. Philippe Lamotte défend plutôt l'idée de mieux répartir les flux tout au long de la semaine. « Il y a des pics d'activité très lisibles selon les jours de la semaine. Certaines commandes non urgentes pourraient être planifiées les jours les moins chargés pour le distributeur. Mais ce travail répond à une logique de chaîne, il ne peut être mené qu'avec l'ensemble des acteurs concernés. »

D'autres acteurs refusent plus simplement de se définir par rapport à la rapidité des délais. « Prisme fonctionne très bien mais suppose, par essence, une rupture de charge qui ajoute du délai. En tant que distributeur, je ne contrôle pas tout le circuit de livraison et je ne peux donc pas concurrencer Amazon, explique Hervé Doussau, président de Belles Lettres Diffusion Distribution (BLDD). La course n'a aucun sens car elle est perdue d'avance. On connaît le prix humain et environnemental de la rapidité d'Amazon qui livre en 24 heures. » Autre exemple chez Pollen, le P.-D.G. Benoît Vaillant s'attache d'abord à absorber la croissance des dernières années. L'entreprise a doublé sa capacité de stockage en 2021 avec l'ouverture d'un deuxième site de 2 000 m2, elle sous-traite désormais une partie de ses offices à la Société Genilloise d'Entrepôt. « Notre développement nous oblige à garantir la régularité du service plus que sa rapidité », souligne Benoît Vaillant.

À Ris-Orangis, Prisme a fait peau neuve

En quittant Limeil-Brévannes pour un nouveau site de 10 000 m2 à Ris--Orangis, Prisme a quasiment doublé sa surface. La mue était indispensable pour la plateforme interprofessionnelle de cross-docking, pilotée par Geodis, afin d'absorber l'augmentation des volumes chez ses partenaires distributeurs.

Sans Prisme, les libraires paieraient au prix fort l'acheminement des livres. Depuis sa création en 1993, la plateforme de regroupement logistique est l'outil de mutualisation par excellence de la distribution en France (hors Île-de-France), en Belgique et au Luxembourg. Sept millions de colis expédiés par quelque 650 éditeurs/distributeurs y transitent chaque année avant d'être redirigés vers environ 3 000 points de vente.

Prisme a pour donneur d'ordre la Commission de liaison interprofessionnelle du livre (CLIL) ; elle permet à 80 % des commandes traitées par ses soins de parvenir en 24 heures à leur destinataire. Ses avantages sont à la fois commerciaux et environnementaux. « Grâce à Prisme, les libraires groupent leurs commandes auprès des différents distributeurs afin d'optimiser les frais de port, mais aussi de limiter leur empreinte carbone », résume Sophie Salmon, secrétaire générale de la CLIL.

Un livre sur trois en France

Son déménagement en avril dernier de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne) à Ris-Orangis (Essonne), plus près des principaux sites logistiques des grands distributeurs, doit lui permettre de répondre à l'augmentation constante des flux. « Avec notre nouveau site, nous avons amélioré notre capacité de traitement de 25 à 30 % », souligne Stéphane Cassagne, directeur général du métier Distribution & Express chez Geodis. Prisme traite en moyenne 25 000 colis par jour, avec des pics pouvant monter à 50 000.

Pour les flux sortants, la plateforme s'appuie sur deux transporteurs nationaux, Geodis et Heppner, et quatre transporteurs régionaux : Translivres (est), Transports Besson (sud-est), Transports Benito (sud-ouest) et Ziegler (ouest). Leurs destinataires sont les librairies indépendantes, les Espaces culturels E.Leclerc, les magasins Cultura, mais aussi certains points presse et des enseignes spécialisées. Seuls Amazon et la Fnac, qui ont leur propre réseau de distribution, ainsi que la GSA et les libraires franciliens, se passent de ses services. Au total, un peu plus d'un livre sur trois transite par Prisme.

À moyen terme, l'un des principaux enjeux de la plateforme sera le renouvellement de son pool de transporteurs. Un appel d'offres doit être lancé d'ici 2024, avec un cahier des charges plus exigeant en matière environnementale afin de coller aux objectifs du Chantier développement durable initié en 2020 par la CLIL. « Le transport représente 44 % de nos émissions de CO2, rappelle Sophie Salmon. C'est un poste sur lequel nous avons l'ambition d'agir. » Seule incertitude, la hausse des coûts du transport repousse à une date indéterminée le déclenchement de l'appel d'offres car, dans les conditions actuelles de marché, le résultat de la consultation pourrait être défavorable aux libraires.

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