Quelquefois, une piqûre d'abeille suffit à faire basculer un monde. En l'occurrence, celle qui vient interrompre la vie d'un des derniers parrains corses, héritier des années de plomb et de sang, l'un des seuls aussi à avoir échappé, par miracle et par ruse, à la fin violente que lui promettaient un jour ou l'autre ses activités criminelles.
S'il n'y avait que ça pour sortir de son apathie largement alcoolisée un ancien flic vaguement reconverti en détective privé traqueur de permis de travail trafiqués et de tristes adultères pour assurer l'ordinaire de ses jours... Seulement, il y a aussi ce vieil homme disparu sans crier gare qu'il lui faut retrouver. C'est (c'était ?) l'oncle d'un de ses plus vieux amis, « Natio » dégoûté des dérives d'un mouvement qu'il n'a que trop fréquenté, qui le convoque dans sa bergerie perdue dans la montagne pour cette mission improbable.
Notre héros y retrouve malgré lui ses réflexes d'enquêteur et va tirer sur un fil de laine avant de découvrir peu à peu qu'il est en train de dévider toute la pelote de la théorie de crimes fraternels, de collusions politico-mafieuses qui ont marqué l'histoire de l'île de Beauté depuis quarante ans. Entre-temps, il fera de très mauvaises et parfois de très instructives rencontres, jusqu'à revenir sur les traces de la femme qu'il a aimée et qui l'a tout aussi mystérieusement quitté quelques années auparavant. Il dansera avec la mort, non par conscience professionnelle, mais parce qu'au fond il se demande parfois du fond de sa tristesse, si ce n'est pas ce qui peut lui arriver de mieux.
Ce n'est pas faire injure à nos consœurs et confrères que de considérer qu'Antoine Albertini est sans doute le meilleur spécialiste aujourd'hui de la Corse dont il connaît chaque chemin et chaque turpitude. En témoignent, outre ses articles (il est correspondant du Monde dans son île natale), les deux splendides livres de « narrative non-fiction » qu'il a déjà publiés, La femme sans tête (Grasset, 2013) et Les Invisibles (JC Lattès, 2018, qui vient de reparaître en poche chez Points). Avec Malamorte (JC Lattès), il a ajouté l'an dernier avec succès une corde à son arc : auteur de roman noir. Ce Banditi est encore plus beau, d'abord parce qu'il se lit comme le roman vrai d'un pays que l'auteur ne peut s'empêcher d'aimer et de fuir, ensuite et surtout, parce qu'il est encore plus cafardeux, plus noir. De cette noirceur que soigne l'écriture mieux que toute autre addiction.
Banditi
JC Lattès
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 20 euros ; 400 p.
ISBN: 9782709666169