Le Clézio connaît bien le pays et a d’ailleurs délaissé les voitures officielles pour se déplacer dans la ville avec son beau-frère. " Quand je viens au Maroc, ce n’est pas une terre étrangère pour moi, c’est une terre sur laquelle ma femme est née, qui l’a nourrie et qui l’a éduquée. " raconte-t-il à un public qui boit ses paroles. " C’est vrai qu’il y a une identité marocaine dans ce que j’écris. Ce n’est pas dans la langue, ni dans les détails, ce serait plutôt dans l’inspiration. Le Maroc m’a montré quand j’étais enfant, le besoin de justice et de liberté. "
Son premier récit à 13 ans
En effet, l’auteur de Désert est venu avec sa famille au Maroc en 1953, à l’époque du protectorat, son père voulant montrer à travers ce voyage les méfaits de la colonisation. " Nous voyagions en bus. Un jour, il y a eu une altercation car un des passagers qui était un homme âgé, n’avait pas de quoi payer son billet. Le chauffeur, un Français, l’a très brutalement fait descendre du bus et mon père a dit : "voilà, ça c’est la colonisation. Quelque chose de mauvais en soi parce que ça pratique l’injustice et la cruauté. " Suite à ce voyage au Maroc, Le Clézio, qui a alors 13 ans, écrit son premier texte, un récit d’aventure Le Cheikh bleu où il imaginait qu’un chef conduisait une révolte contre le pouvoir colonial. " Il n’a évidemment jamais été publié, c’était un roman d’enfant mais des années plus tard, j’ai repris l’idée pour écrire Désert. "
Il a abordé de nombreux thèmes, la religion et la spiritualité mais aussi le pouvoir des mots dans son échange avec Patrick Chamoiseau ou la question de la colonisation et la responsabilité qu’il ressent en raison de ce passé, un sentiment qui l’a poussé à écrire. " J’appartiens à ce passé, j’ai besoin de le voir en face. Oui, je me sens responsable et chaque Français doit se sentir responsable." Le sentiment de culpabilité s'exprimera d'ailleurs fortement dans le prochain ouvrage qu'il publie le 27 mars, Tempête (Gallimard), où le héros d'une des novellas est un homme qui a fait de la prison pour avoir été le témoin d’un viol et ne pas être intervenu.
Face aux étudiants, il a par ailleurs insisté sur la nécessité des traductions pour accéder aux textes du monde ainsi que le droit d’accès pour tous à la culture. Sur ce point il a d’ailleurs déclaré: « Cela ne me pose aucun problème que mes livres soient lus sur un écran. Je n’ai même pas vraiment d'indignation en ce qui concerne les droits d’auteurs. La littérature n’est pas faite pour être confinée, elle est faite pour être d’accès libre, de la même façon que j’ai lu des livres dans les bibliothèques autrefois sans payer. Et s’il faut exercer un autre métier quand on est écrivain, pas de problème, je suis prêt à l’exercer. »
La présence d’un prix Nobel de littérature est un coup de force pour cette première édition du festival Etonnants voyageurs Rabat, montée en trois mois à peine au Maroc avec l’Institut français et l’aide financière de partenaires privés et publics locaux. Une deuxième édition est envisagée en 2016 mais en attendant, les débats notamment sur les printemps arabes se poursuivront avec une partie des 90 invités, à Saint-Malo, du 7 au 9 juin prochain.