Le narrateur, un écrivain impécunieux (pléonasme, à quelques exceptions près), rend grâce à son ami Edouard, bibliophile et collectionneur, de l'aider à assurer la matérielle : celui-ci, lorsqu'il met la main sur un ouvrage rare, ou un manuscrit ancien, commande au plumitif des notices explicatives, convenablement rémunérées. C'est encore le cas cette fois, avec les cahiers de Melchior Soubeyran, l'arrière-petit-neveu du voyageur, aventurier, négociant et écrivain Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689). A l'âge de quinze ans, il a accompagné son parent lors de son dernier voyage, d'Amsterdam à Moscou, en passant par Hambourg, Copenhague et Stockholm.

Tavernier est un personnage d'exception, marchand parisien protestant devenu l'un des grands voyageurs de son temps, découvreur de l'Orient et de l'Inde, négociant en pierres précieuses pour le compte de Louis XIV, à qui il a notamment vendu, en 1668, le diamant bleu Hope. Le roi, reconnaissant, lui avait octroyé la baronnie d'Aubonne, dans le canton de Vaud. Et c'est en Suisse encore que l'honnête homme, calviniste, a pu se réfugier après la funeste révocation de l'Edit de Nantes, en 1685.

En 1688, il reprend donc la route, en principe vers la Perse, où il a des affaires à régler avec son neveu Pierre, et Philippe de Senis, son beau-frère « persan », qui l'ont trahi. Il n'y parviendra jamais. Melchior se fait le scribe de cette aventure méconnue, alors que le reste de la vie épique de Tavernier est plutôt bien documenté, et que lui-même a commis quelques récits autobiographiques. Ainsi le fameux Six voyages en Turquie, en Perse et aux Indes (1676), une somme et une mine de choses vues passionnantes, en particulier sur l'Inde, le système des castes, l'empereur moghol Aurangzeb, le Taj Mahal, le Trône du paon ou encore le Koh-i-Noor, qu'il a vus de ses yeux. Au début, le récit est assez sec, factuel, Tavernier y met sa patte, et puis le texte s'affranchit, s'émancipe, et se fait romanesque.

Ce récit, authentique ou fictif, on ne le lira pas. Bertrand Leclair a préféré bâtir son livre autour de son personnage d'écrivain, de ses recherches, de ses commentaires et de sa relation avec son mécène. Tant pis, ou tant mieux.