2 mars > Premier roman France > Marie Bardet

Que transmet-on ? Ou plutôt, qu’est-ce qui nous a été transmis ? Car si l’on ne désire pas tous être parent, on naît toujours de quelqu’un. Etre un sujet, c’est choisir, mais choisit-on son père et sa mère ? Comment d’aucuns sont-ils amenés à arpenter ce difficile chemin de la liberté alors que d’autres préfèrent systématiquement marcher dans les clous ? "Notre héritage n’est précédé d’aucun testament", dit célèbrement René Char.

Mais voilà que la plus libre des personnes est elle-même prise d’un vertige. Jusqu’où est-elle libre ? Jusqu’à quel point n’est-elle pas "agie" ? Passion, pulsions, affects… L’action n’est-elle que réaction ? Claire remarque cette photo qui n’a en vérité jamais quitté le bureau de cet architecte respecté que fut son père, Gaston Robert. A ses côtés, sur le cliché, un vieillard chenu, de dos, qui fait face à son papa chéri : le maréchal Pétain. Natif de Vichy, Gaston Robert est l’urbaniste qui remit les plans de la nouvelle capitale de l’Etat français à son chef collaborationniste et promulgateur des lois antijuives. Une myriade de questions virevoltent dans la tête de l’héroïne du premier roman de Marie Bardet, A la droite du père, qui ouvre le bal des parutions des toutes nouvelles éditions Emmanuelle Collas, ex-Galaade. Claire est la préférée des deux filles du couple que forment Gaston et Anne, de trente ans sa cadette. Son père est vieux et souffre de maux qui oppressent sa poitrine. La fillette ne voudrait pas qu’il meure. Ayant biberonné à la religiosité familiale - l’ancien architecte collabo, devenu exégète de la Bible, a troqué la planification urbaine contre la "Cité de Dieu" -, la jeune Claire a un penchant pour le mysticisme, une propension à l’affabulation : elle est prête à se donner en martyre pour sauver son père, elle pense ne pas être la fille de sa mère (toujours froide vis-à-vis d’elle) et être elle-même une enfant juive cachée ; elle est fascinée par Ilich Ramírez Sánchez alias Carlos, l’ennemi public numéro un, terroriste d’extrême gauche qui a épousé la cause palestinienne.

Des années plus tard, Claire, devenue viticultrice, rencontre à Beyrouth un certain Maksim, comme Maxime Gorki, fils d’un combattant libanais de confession chrétienne maronite mais qui s’est rangé du côté des Palestiniens. Maksim devient son amant, il lui révèle qu’il a appris le maniement des armes du même Carlos. Au même moment resurgit d’un passé longtemps enseveli Jeanne, la domestique de la famille du Dr George Hirsch, abattu sur le parvis d’une église à Vichy à cause de ses origines juives. Tous les fils de cette narration d’un lyrisme sec, aux accents autobiographiques (Marie Bardet est fille de Gaston Bardet, architecte du régime de Vichy), se relient mais sans ourdir forcément une toile à la maille lisse - comme la vie, sa fiction est pleine de nœuds, de questionnements irrésolus. S. J. R.

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