C’est une histoire vraie avec un personnage que l’on croirait sorti d’un roman de Modiano. Mendel Szkolnikoff était juif d’origine russe. Tout ce que les nazis détestaient. Et pourtant, celui qu’on appelait « Monsieur Michel » fit des affaires, et le plus souvent des affaires louches, avec les Allemands. Installé à Paris puis à Monaco, il fut le plus grand trafiquant d’étoffes de l’Occupation. Mais il ne vendait pas que des tissus, comme l’explique Pierre Abramovici dans cette enquête très fouillée qui rouvre le dossier gigantesque et nébuleux de la collaboration économique.
En s’appuyant sur les archives de Jacques Delarue, auteur de Trafics et crimes sous l’Occupation (Pluriel, 2013), en interrogeant les rares témoins, en exhumant des documents dans plusieurs pays, Pierre Abramovici nous livre le portrait fascinant d’un homme qui menait grand train avec sa maîtresse Hélène Samson et s’était associé à Göring pour racheter les grands hôtels du littoral atlantique et de la Riviera, dont le Martinez à Cannes.
A la Libération, le patrimoine de « Monsieur Michel » - estimé à 2 milliards de francs de l’époque - est mis sous séquestre et les héritiers sont tenus responsables de son remboursement à l’Etat. Pierre Abramovici, à qui l’on doit Un rocher bien occupé : Monaco pendant la guerre 1939-1945 (Seuil, 2001), dresse un tableau peu reluisant des manigances financières dans la principauté. On ne sait pourquoi, mais ce personnage trouble - sans doute assassiné en Espagne en 1945 - fait curieusement écho à d’autres grands magouilleurs contemporains. Et après la guerre, peu de patrons français avouèrent avoir connu Szkolnikoff…
L. L.