Ecoeurement et chagrin devant l’accusation portée contre Milan Kundera. Toute la vie courageuse et l’œuvre éminente d’un homme seraient mises en cause sur la foi d’une vieille paperasse de petit flic totalitaire ? La beauté, l’intelligence, la création devraient toujours céder à la lampisterie du fouille-merde ? Le myope avoir raison contre le clairvoyant ? La taupe, contre l’aigle ? Car enfin, c’est toujours la même chose que l’on veut tuer avec un tas de bons prétextes : l’art. Mardi soir, j’écris à toute allure ma chronique de L’Humanité pour défendre Milan Kundera. Ma femme, qui se méfie de mes emportements, relit et me dit : « A ttends demain matin, reprends ça à tête reposée avant de l’envoyer au journal… » D’accord. Elle est toujours de bon conseil. Le lendemain matin, je relis donc la chose « à tête reposée ». Et j’enlève seulement quelques gros mots… * Intéressant article de Libération , signé Edouard Launet, concernant les « agents littéraires », ce vieux serpent de mer de l’édition. Sur ce sujet, je voudrais faire quatre remarques. 1) 1) On peut tout à fait passer par les services d’un agent littéraire pour éviter le rapport direct avec un éditeur. Et probablement peut-on ainsi obtenir des conditions contractuelles plus intéressantes. Sauf que les conflits éventuels qui peuvent surgir avec l’éditeur risquent de n’être que déplacés. Quand entendrons-nous un auteur se plaindre non plus de son éditeur, mais de son agent ? Alors, il prendra un agent pour le représenter auprès des agents… 2) 2) Il est tout à fait logique que certains auteurs souhaitent confier la prospection pour les traductions ou l’audiovisuel à quelqu’un d’autre qu’à leur éditeur, au motif que leur maison d’édition ne serait pas assez équipée et efficace en ces domaines. Et il est tout à fait normal que cela puisse être discuté. Mais ne rêvons pas : si nous prétendons enlever le beurre à notre éditeur « princeps », il ne faudra pas s’étonner qu’il réduise la tartine. 3) 3) Si l’on voulait travailler sérieusement, on commencerait par le problème de fond : celui de la durée de la cession de droits. Aujourd’hui, dans n’importe quel contrat, l’auteur cède l’exclusivité à l’éditeur pour toute la durée de la propriété littéraire. C’est à dire pour un temps indéfini, puisque calé sur la date du décès de l’auteur, que personne ne peut prévoir. Dans les conditions actuelles, il ne faut pas hésiter à dire que c’est une absurdité. On ne pourra pas continuer d’imposer aux auteurs ce « double bind » : cession pour un temps indéfini, caractère éphémère de la vie du livre, quand ce n’est pas de la maison d’édition elle-même. Exemple concret : je suis publié aux éditions Stock, pour la seule raison que les éditions Stock, c’est Jean-Marc Roberts, à qui me lie depuis douze ans une amitié et une complicité jamais démenties. Dans dix ans, dans vingt ans, qu’est-ce que ça voudra dire ? A ce moment-là, Jean-Marc et moi, sans lui souhaiter ni me souhaiter de mal, nous serons tous deux en route pour les champs élyséens. La marque Stock aura peut-être été revendue, ou supprimée, en fonction de stratégies de groupes. Et quelqu’un que je ne connais pas aura à ce moment-là un droit absolu sur mes livres, dont il se contrefichera peut-être ? Qu’il n’aura jamais lus ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Autre exemple. Un éditeur (qui n’est pas Stock) m’informait récemment qu’un de mes livres allait être pilonné. J’avais le droit d’en commander quelques exemplaires gratuitement, comme qui dirait en souvenir… Soit. Mais alors, pourquoi ai-je dû, moi, signer un contrat « pour toute la durée, etc. », alors qu’au bout de deux ans, on m’informe que mon ouvrage part pour la benne ? Je propose que l’on réfléchisse à un contrat sur cinq ans, prolongeable par tacite reconduction. Et j’aimerais que les instances censées défendre les droits des auteurs se montrent un peu plus entreprenantes sur ce genre de sujet. 4) 4) Bien sûr, quelques prédateurs célèbres se foutent complètement des remarques qui précèdent, du moment que l’argent rentre. Ils ne font pas du bien à leurs confrères.