Quinze mille lecteurs français parmi les plus avisés savent depuis La mer (Booker Prize, Robert Laffont, 2007), que John Banville est l’une des voix les plus éminentes de ce temps. Martin Amis le dit sans égal, et la fondation Raymond-Chandler, convaincue par les romans noirs qu’il publie sous le pseudonyme de Benjamin Black, vient de lui confier l’écriture d’un nouveau Philip Marlowe pour cet automne. Par nature, l’art poétique et romanesque de Banville est fait de travestissement et de fausses pistes, et sans doute son nouveau roman, La lumière des étoiles mortes, le plus beau depuis L’intouchable (Flammarion, 1998), marque-t-il en la matière un aboutissement.
C’est l’histoire d’un acteur anglais d’une soixantaine d’années, Alex Cleave (qui était déjà le héros d’Eclipse, et l’un des personnages d’Impostures, Robert Laffont, 2002 et 2003), obsédé par la mort accidentelle de sa fille Cass, tombée d’une falaise sur une plage en Italie et dont l’autopsie révéla qu’elle était enceinte au moment de sa chute. Pour penser, et souffrir aussi, à autre chose, Alex se souvient de sa première histoire d’amour, un demi-siècle auparavant, alors qu’il n’était qu’adolescent, avec la mère de celui qui était son meilleur ami. Il va entreprendre de la retrouver, tout en acceptant la proposition qui lui est faite de tourner un "biopic" sur un critique littéraire américain qui vécut là même où sa fille trouva la mort… Il apprendra ce que sans doute il savait déjà : on ne réveille pas sans conséquences les ombres douteuses du souvenir.
Ici plus que jamais, la phrase de Banville se fait mélodique, épousant à l’envi les côtes déchirées de son pays, l’océan et le vent. Cette Lumière des étoiles mortes est un requiem pour l’indécision des choses et du passé. On songe à sa lecture au sublime La mer, la mer d’Iris Murdoch. On y retrouvera la même politesse, qui n’est pas celle du désespoir mais du très grand art, qui désamorce toujours l’émotion par un humour glacé, qui doit aussi à Nabokov ou à Kafka.
Olivier Mony