Export 2012

Les nouveaux horizons du livre français

Les nouveaux horizons du livre français

Les ventes de livres français se tassent dans les pays francophones développés de la même manière qu’en France. Mais elles continuent de connaître une belle croissance au Maghreb, en Turquie et au Proche-Orient, ainsi que sur les principaux marchés asiatiques. Au total, l’activité à l’export affiche une progression encourageante.

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Par Fabrice Piault
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Une hausse de 1,6 % en euros courants pour un volume d’affaires de 712,5 millions d’euros : à défaut d’être spectaculaire, le bilan des exportations de livres français en 2012 tranche avec le climat ambiant. Etabli par la Centrale de l’édition sur la base des statistiques douanières (voir graphiques page suivante), il marque une embellie non seulement par rapport au bilan de l’année précédente, à - 0,5 % (1), mais surtout par rapport à l’évolution des ventes de livres dans l’Hexagone, en recul de 1,5 % pendant la même période, d’après nos données Livres Hebdo/I+C. Quelques opérations ponctuelles dans une poignée de grands pays non francophones d’Europe contribuent en partie au décalage. Mais celui-ci s’explique avant tout par le dynamisme confirmé des exportations vers plusieurs pays émergents du Maghreb, du Proche-Orient et de l’Asie.

Morosité dans les grands pays francophones

Dans les trois grands pays francophones développés, qui sont aussi les trois principaux clients du livre français, l’activité se révèle aussi morose qu’en France. Certes, lissée sur trois ans, elle s’inscrit en légère progression dans chacun d’eux, et particulièrement en Belgique qui reste, et de loin, le premier client à l’étranger de l’édition française, dont elle absorbe à elle seule 28,9 % des exportations. Mais en 2012, conjoncture économique oblige, les exportations vers la Belgique se tassent de 0,4 %. En Suisse, le retrait atteint - 1,8 % tandis qu’au Canada il se fixe à - 4,5 %. Dans le même temps, d’après la Centrale de l’édition, il est difficile de tirer des conclusions de la hausse des exportations de livres enregistrée par les douanes en direction de l’Union européenne. L’Allemagne (+ 6,3 %), pointant au 4e rang dans le palmarès des meilleurs clients du livre français, et même au premier des pays non francophones, demeure un partenaire très solide du livre français, qui y a nettement conforté ses positions au cours des dernières années. Les exportations françaises de livres continuent de se développer en Italie (+ 2,3 %), au Luxembourg (+ 6,7 %) et en Suède (+ 9,2 %). Elles amorcent, après un recul sensible les années précédentes, un tout petit redressement au Portugal et en Grèce. En revanche, selon la Centrale, la forte progression des ventes de livres français en Espagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, voire au Danemark et en Irlande, relèverait d’épiphénomènes ponctuels - comme peut-être des opérations commerciales réalisées par de tout petits éditeurs sur des livres rares, avanceraient les services des douanes.

Déprime à l’est et au sud

En fait, l’activité apparaît déprimée, pour le livre en français tout au moins, dans plusieurs régions du monde. En Europe centrale et orientale, réduite en quelques années à un marché totalement marginal pour la France (0,3 % des exportations), on assiste à un véritable effondrement (- 52,3 %), singulièrement sur la Russie (- 65,1 %, à seulement 1,1 million d’euros). En Afrique aussi, où « il n’y a pas eu l’an dernier de marchés importants portés par des bailleurs de fonds internationaux », note le directeur général de la Centrale de l’édition, Olivier Aristide, la chute est de 9,1 % dans les pays francophones et de 14,1 % dans les pays non francophones. L’année a été bonne en Côte d’Ivoire (+ 29,5 %), au Sénégal (+ 6,6 %), au Congo (+ 12,2 %), au Bénin (+ 10 %) et à Madagascar (+ 4,2 %). Des opérations ponctuelles ont fait bondir le chiffre d’affaires au Burkina Faso et au Burundi. Mais des chutes d’activité souvent importantes touchent le Cameroun (- 28,8 %), le Gabon (- 9,9 %), Maurice (- 12,4 %) ou encore le Togo (- 81,9 %).

En Amérique latine, les ventes de livres français se tassent de 0,5 %, un chiffre qui résulte de performances contrastées. Les exportations ont reculé vers le Brésil (- 7,2 %, mais tout de même + 4,3 % en moyenne sur trois ans) et plongé sur un grand nombre de micromarchés. Mais elles se sont très bien tenues au Mexique (+ 12 %) et en Colombie (+ 26,7 %), respectivement 1er et 3e clients de l’édition française dans la région. Dans la microrégion des Antilles, l’activité reste soutenue exclusivement par une croissance continue en Haïti (+ 16,9 % en 2012, + 17,7 % sur trois ans). En Amérique, l’année s’est également révélée favorable à la France aux Etats-Unis (+ 12,6 %), où l’activité est finalement stable en moyenne sur trois ans.

Dynamisme au Maghreb et au Proche-Orient

C’est cependant d’abord le dynamisme de l’activité dans plusieurs pays en développement qui explique le ressort conservé par le livre français à l’export. Au Maghreb (+ 20,4 %), les ventes s’affichent au Maroc à + 9,2 % en 2012 et + 8,8 % en moyenne sur trois ans, et en Algérie à + 31,3 % en 2012 et + 7,4 % sur trois ans. L’activité se redresse même en Tunisie, durement affectée un an plus tôt par l’impact des révolutions arabes, avec + 36,5 % l’an dernier et + 4,9 % en moyenne sur trois ans. Selon le directeur de la Centrale de l’édition, « on observe au Maghreb une croissance durable, répétée sur les dix dernières années ».

Au Proche-Orient (+ 2,6 % au total), les ventes de livres français s’effondrent, certes, sur la plupart des micromarchés. Mais elles croissent de 3 % au Liban, de 50,7 % aux Emirats arabes unis et de 8 % au Qatar. En Egypte, durement touchée par la crise économique et monétaire (voir notre article page 17), l’activité s’est légèrement redressée en 2012 (+ 1,8 %), même si elle s’inscrit toujours en baisse en moyenne sur trois ans (- 4,4 %). Surtout, aux confins de l’Europe, la Turquie (+ 93,2 %), en plein essor économique, fait pour la première fois irruption, à la 20e place, dans le palmarès des 30 principaux marchés de l’édition française.

Essor en Asie

En Asie et en Océanie aussi, si le livre français tend à s’effacer sur la plupart de ses plus petits marchés, il se renforce sur les plus gros. Au total, les exportations vers l’ensemble de cette région du monde, qui ont retrouvé une tendance positive depuis 2010, s’affichent en croissance de + 24,6 % en 2012 (+ 11,8 % en moyenne sur trois ans). Après un ralentissement l’année précédente, dans la foulée du séisme et de l’accident nucléaire de Fukushima, les exportations de livres français ont repris vers le Japon (+ 11,3 %). Elles sont aussi en forte croissance en Chine (+ 19,7 %), en Corée du Sud (+ 74,1 %) et à Hongkong (+ 17,2 %), aussi bien qu’en Australie (+ 61,1 %) et en Inde (+ 148,7 %) ; de même que sur des marchés plus restreints comme Singapour (+ 19,3 %), Taiwan (+ 18,4 %) et la Thaïlande (+ 17,8 %).

Nouvelle géographie des échanges

Au total, tel qu’il est dessiné par les statistiques douanières retraitées par la Centrale de l’édition, le bilan 2012 confirme certaines tendances structurelles comme, dans toutes les régions du monde, le recentrage des exportations françaises de livres sur les principaux marchés au détriment des tout petits. Il marque pourtant aussi l’amorce d’une recomposition qui traduit le rôle croissant joué par les pays émergents, francophones et non francophones. Symptomatiquement, le poids des pays francophones dans la vente de livres français à l’étranger, qui n’a cessé de progresser au fil des années jusqu’à atteindre 78 % en 2011, recule en 2012 à 75,1 %. Le Maghreb, qui absorbait 5,5 % des exportations de livres français en 2011, a vu sa part grimper à 6,5 % en 2012. Celle de l’Asie et de l’Océanie s’est hissée de 1,9 % à 2,3 %. Des essais qui restent à confirmer en 2013. <

(1) Voir LH 905, du 13.4.2012, p. 18-21.

Les exportations 2012 en chiffres

Dom-Tom : une rechute spectaculaire

Aux deux belles années 2010 (+ 7,8 %) et 2011 (+ 3,3 %) pour les ventes de livres outre-mer, mesurées comme les exportations par les statistiques douanières, succède une contre-performance, à - 12 % en 2012. Les difficultés de Presstalis ont pesé sur l’activité dans les Tom, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, également victime de la concentration de la distribution. Lissées sur trois ans, les évolutions se révèlent toutefois plus modérées.

La livre égyptienne nuit au livre francophone

La dégradation continue de la monnaie égyptienne place les librairies du Caire dans une position délicate à la veille des commandes pour la rentrée scolaire.

Wajdi Mouawad, Nedim Gürsel, Louis Gardel et une dizaine d’autres participants rassemblés autour du thème de l’exil : à Alexandrie, la 4e édition du festival Ecrire la Méditerranée a investi cette année encore, du 9 au 14 avril, pour la quatrième fois, les lieux clés de la vie culturelle de la ville. La manifestation était proposée conjointement par l’Institut français d’Alexandrie, le Centre méditerranéen de littérature et la direction de la célèbre bibliothèque de la ville. Mais elle intervenait dans une phase délicate pour les librairies francophones d’Egypte, dont la principale au Caire, Oum el Dounia, tenait un stand à la sortie de chaque conférence. Pour sa propriétaire, Agnès Debiage, également vice-présidente de l’Association internationale des libraires francophones (AILF), le festival n’est d’ailleurs pas tant l’occasion de décupler les ventes que de se faire connaître.

Rencontrée à la veille du lancement des festivités dans son magasin de la rue Talaat-Harb, dont les fenêtres donnent sur la place Tahrir, la libraire porte un regard désenchanté sur ses deux dernières années d’activité et sur la crise actuelle. « En Egypte, en temps normal, le livre francophone constitue un petit marché qui a du mal à défendre ses intérêts et qui est, à la base, beaucoup plus cher que le livre anglophone, analyse-t-elle. Mais depuis la révolution, notre chiffre d’affaires n’a cessé de baisser, en 2011 d’abord, puis en 2012. Etant donné sa proximité avec la place Tahrir, notre librairie est la plus exposée aux manifestations, souligne-t-elle. Nous avons été obligés de fermer un certain nombre de vendredis, dès que les manifestations prenaient de l’ampleur. »

Révolution et dévaluation.

Aujourd’hui, la nature de la crise qui affecte l’Egypte a changé. Le problème ne réside pas tant dans les manifestations qui dissuadent les clients potentiels de s’aventurer jusqu’aux portes d’Oum el Dounia, mais dans la situation économique particulièrement volatile du pays. La dévaluation de la livre égyptienne, en particulier, affecte directement l’activité des libraires. En quatre mois, d’octobre 2012 à février 2013, le taux de change est passé de 7,80 à 9,16 livres égyptiennes pour 1 euro, et cette tendance ne donne pour le moment aucun signe de ralentissement.

Dans une lettre datée du 8 avril, les huit libraires francophones du Caire ont collectivement décrit, à l’intention de la Centrale de l’édition, la récente détérioration de leurs conditions de travail. Délais de virement de plus en plus longs, cartes de crédit limitatives… la liste des obstacles au développement des commerces de livres est longue. Mais la principale difficulté reste l’obligation dans laquelle les libraires se trouvent de régler leurs fournisseurs, de s’approvisionner en devises sur le marché noir faute de pouvoir le faire par la voie légale.

« Quand on fait un devis en livres égyptiennes, il n’est désormais valable que pour une semaine au maximum », observe Agnès Debiage. Or, la période des devis pour les livres scolaires doit commencer vers la mi-mai. « Avec la dévaluation actuelle, le prix du livre a augmenté de 30 %, témoigne aussi Gehane Riskallah, de la librairie Les Amis du livre, spécialisée dans le livre scolaire. C’est trop cher pour beaucoup de parents, mais aussi pour les écoles, en particulier les écoles publiques. Nous nous attendons cette année à une baisse importante des commandes même si, en amont, nous manquons évidemment de visibilité. » Une partie des vingt-cinq écoles francophones du Caire pourraient être tentées de commander moins de livres et de faire des photocopies afin d’assurer le nombre d’exemplaires adéquat tout en respectant les limites de leur budget, craignent les libraires.

« La période actuelle est la plus critique que j’ai connue depuis que j’ai ouvert Oum el Dounia sur Talaat-Harb en 2004, explique Agnès Debiage. Il y a bien eu une dévaluation en 2003mais, à la différence de la situation qui prévaut en ce moment, il s’agissait d’une dévaluation officielle. Aujourd’hui, dès lors que nous sommes obligés de passer par le marché noir, c’est simple : nous payons à perte si nous n’augmentons pas nos prix. »

Garanties.

L’an dernier, le fonds d’intervention financé par le ministère français de la Culture, la Centrale de l’édition et les éditeurs, qui permet d’intervenir en cas de crise majeure comme ce fut le cas ces dernières années en Haïti ou en Côte d’Ivoire, avait été mobilisé. Une réunion de crise s’était tenue en avril à Paris à la suite de la suppression des garanties Coface des libraires d’Egypte. Ces derniers avaient été autorisés à ne payer que 25 % d’acompte à la commande, et à régler le solde à soixante jours. « En 2012, le ministère de la Culture a participé plus que l’année précédente afin de donner des garanties à l’Egypte », souligne-t-on à la Centrale de l’édition, où l’on ajoute toutefois que le fonds d’intervention ne peut compenser à chaque fois la dévaluation de la livre égyptienne alors qu’il doit déjà se substituer à la Coface. Des discussions sont néanmoins en cours. « Nous sommes conscients qu’il reste peu de temps avant les devis de rentrée scolaire, admet-on à la Centrale. Nous réfléchissons actuellement, avec les éditeurs et avec les libraires égyptiens, aux réponses à apporter à la difficulté supplémentaire de la dévaluation. » < Isabelle Mayault
11.10 2013

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