Les chrétiens peuvent manger de tout, mais pas de n’importe quelle manière. C’est ce qui ressort de cette étude savoureuse de Massimo Montanari sur la culture alimentaire chrétienne. Dès les origines, les apôtres n’interdisent rien. Il faut simplement être respectueux envers la nourriture : faire bonne chère, mais pas au détriment de la chair et surtout de l’esprit.
Pourtant, cette absence de modèle alimentaire pose problème au fidèle qui "se retrouve seul, avec sa conscience et son appétit". Comme la liberté, la nourriture neutre est un concept révolutionnaire. Car si l’homme est ce qu’il mange, le croyant est surtout ce qu’il ne mange pas. C’est tellement plus facile pour plaire à Dieu.
Tant bien que mal, raconte l’auteur des Contes de la table (Seuil, 2016) et de Entre la poire et le fromage (Agnès Viénot, 2009), le christianisme va se chercher un modèle alimentaire en inventant le carême, le péché de gourmandise, la vertu du jeûne. Les théologiens se font médecins, à moins que ce ne soit l’inverse. On évoque le bien-cuire et on glisse doucement vers la gastronomie avec la table monastique d’abord, familiale ensuite.
Difficile pour une religion née au cœur de la Méditerranée orientale, qui a fait de la culture du pain, du vin et de l’huile son credo, de renoncer au goût, à la connaissance et au plaisir dont les lieux sont justement la bouche et le ventre.
Comme le souligne ce grand historien italien de l’alimentation, ce qui paraissait simple est en réalité terriblement compliqué. Son essai en revanche est d’une limpidité souveraine.
Laurent Lemire