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Les livres d'art à l’aise près des cimaises

La librairie du musée du Louvre dont la concession arrive à échéance en 2014. - Photo Olivier Dion

Les livres d'art à l’aise près des cimaises

Les librairies des musées, qui fêteront leur « 8e Nuit » ce samedi 18 mai, se portent plutôt bien étant donné les difficultés du secteur du livre d’art. Alors que rares sont les librairies généralistes à disposer encore de spécialistes dédiés à ce rayon, le musée est le dernier lieu où l’on vend tout au long de l’année des livres d’art.

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Par Anne-Laure Walter, Charles Knappek
Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Il y a des éclaircies dans la morosité ambiante de la librairie française. Certains points de vente tirent bien leur épingle du jeu, enregistrent des progressions de chiffre d’affaires, ouvrent de nouveaux espaces, se rénovent : les librairies-boutiques de musées. Au Grand Palais, le chiffre d’affaires livres a augmenté de 23 % en 2012 par rapport à 2011 (sans pour autant retrouver les sommets de 2010 avec l’exposition Monet) ; à Orsay, la librairie a enregistré l’an passé une progression de son activité de 16 % ; à l’Orangerie, elle est à + 32 %, et celle du Centre Pompidou, gérée par Flammarion, affiche + 20 %. La Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP) annonce une croissance de 1 % de son chiffre d’affaires réalisé par la vente de livres sur ses 40 points de vente pour 2012. Samedi 18 mai, à l’occasion de la 8e Nuit des musées, un événement qui, l’année dernière, a rassemblé plus de 2 millions de noctambules dans 1 300 institutions françaises, toutes ces librairies seront ouvertes en nocturne, accompagnant les animations des musées auxquels elles sont rattachées.

 

 

Catalogues en tête.

Alors que le livre d’art connaît ces dernières années une forte crise, le secteur des catalogues de musée, lui, se porte bien et tend à cannibaliser le reste de la production : 23 des 25 meilleures ventes du rayon l’an passé étaient des catalogues (1). Les difficultés que les librairies généralistes ont à faire vivre de façon suivie le rayon art (voir p. 16-17) fait dire à Olivier Place, à la tête des librairies Flammarion qui ont trois espaces de vente au Centre Pompidou à Paris et un à Metz, que « les livres d’art ne se vendent guère plus au long de l’année que dans les musées ».

 

Né à la fin du XIXe siècle dans les pays anglo-saxons, le concept de boutique-librairie de musée (le livre représente généralement la moitié du chiffre d’affaires de ce commerce qui propose aussi gadgets et produits dérivés) s’est développé en France à partir des années 1980. Fonctionnant par appels d’offres, les concessions sont obtenues pour une durée déterminée avec des critères très divers comme la présence des produits du musée dans le magasin ou le montant de la redevance, à savoir un pourcentage du chiffre d’affaires reversé à l’institution. Au début, c’était principalement la RMN qui répondait à ces appels d’offres mais, ces dernières années, de plus en plus d’acteurs sont sur les rangs, comme dernièrement la société Thé des écrivains qui a pris en charge la librairie du palais de la Porte-Dorée. Ces commerces sont devenus très dynamiques, avec, à leur tête, des spécialistes du livre.

Souvent, les grandes librairies de province s’occupent des points de vente du musée de la ville. Ainsi Kleber gère la concession du musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, la Galerne celle du MuMa du Havre, Sauramps celle du musée Fabre de Montpellier. En janvier dernier, la librairie marseillaise Maupetit-Actes Sud a remporté l’appel d’offres pour la boutique du futur musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) qui ouvrira cet été. D’ailleurs, les dernières créations de librairies spécialisées sont des boutiques de musées comme le Bal Books en photographie dans le 18earrondissement parisien fin 2010, le palais de Tokyo en art contemporain, entièrement refait en avril 2012, celle du musée de l’Air et de l’aviation au Bourget, inaugurée en 2012, ou la librairie des Princes au château de Versailles, ouverte en 2011.

Avec les difficultés du secteur art, elles sont devenues d’incontournables relais pour la production éditoriale. Dépassant le simple événementiel de l’exposition, elles proposent un fonds spécialisé dans le domaine traité par l’institution. Obéissant à la même logique, Le Moniteur a fermé le 30 novembre dernier sa librairie mythique de la place de l’Odéon, spécialisée en architecture et créée en 1983, pour recentrer son activité de ventes principalement sur celle que le groupe gère à la Cité de l’architecture.

 

 

Transfert au Louvre.

La plus grosse librairie d’art en France reste celle du Louvre, ce qui explique la levée de boucliers des éditeurs et diffuseurs qui ont signé une tribune commune lorsque la RMN-GP a annoncé le transfert de la librairie du fourmillant rez-de-chaussée de la pyramide au calme premier étage. Dans un courrier datant du 14 mars, adressé à Jean-Paul Cluzel, le président de la RMN-GP, l’historien d’art Michel Laclotte rappelle que l’« on doit pouvoir y pénétrer de plain-pied. Tel est le mérite de l’actuelle disposition des lieux, remise gravement en cause par le remaniement envisagé. L’émotion soulevée dans des milieux très divers […] illustre clairement le rôle tenu par la librairie au cœur de notre musée ».

 

La raison officielle de ce déménagement, exposée par Jean-Paul Cluzel dans les colonnes du Quotidien de l’art le 8 avril, est d’enrayer la chute du chiffre d’affaires de la librairie, passé de 9,132 millions d’euros en 2009 à 7,979 millions en 2012, et a vu la part du livre passer de 49 % à 44 %. Suivant les conseils du cabinet Boston Consulting Group, il a opté pour le calme de l’étage, avec une superficie certes diminuée de 18 m2, mais en promettant le même nombre de références. Les travaux ont commencé cette semaine.

Le concept de la librairie de musée correspond bien à l’évolution de la librairie vers un lieu de vie et de rencontres, avec des animations, des débats et parfois même un café. Le musée regroupe déjà cela avec ses événements que sont les expositions temporaires, mais aussi les conférences. L’amplitude horaire de ces librairies est souvent très large, même en dehors de la Nuit des musées. Celle du palais de Tokyo est ouverte jusqu’à minuit, celle du Centre Pompidou jusqu’à 22 heures et même 23 heures le jeudi. « Pour les derniers jours de l’exposition Dali en mars, nous avons ouvert non-stop pendant quatre jours, soit trois nuits pleines, note Olivier Place. Cette première a été très concluante. »

 

 

Plus l’exposition est pointue…

Près des cimaises, les livres sont au plus près du public lecteur d’ouvrages d’art. « Plus le musée est spécialisé, plus le panier moyen est élevé, constate Marc Sautereau qui, avec Bookstorming, gère la librairie de la Maison rouge. Et au sein de l’institution, plus l’exposition est pointue, meilleures sont les ventes, car certains visiteurs ont traversé toute l’Europe juste pour cet accrochage. » Ce qui explique le succès de la librairie du musée Guimet à Paris, spécialisé dans les arts d’Asie, dont le chiffre d’affaires livres hors taxe de 561 730 euros en 2012 était en progression de 9,5 %.

 

Mais la librairie de musée n’est pas la poule aux œufs d’or et reste tributaire de la fréquentation de l’institution. « Au-dessous de 100 000 visiteurs payants à l’année, le lieu est très difficilement rentable », explique un libraire indépendant échaudé par l’expérience et qui a lâché dernièrement trois concessions de musées. D’ailleurs, sur le millier de musées de taille significative qui existent en France, la plupart des boutiques sont régies directement par l’institution ou la municipalité. Seules une soixantaine de librairies sont de fait sous concession. Et celles qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui parviennent à créer une vraie librairie à l’assortiment choisi, et pas seulement une boutique de souvenirs. C’est le pari que veut faire Thomas Bernard, éditeur aux Requins Marteaux et chargé de la toute nouvelle librairie du CAPC (Centre d’arts plastiques contemporains) de Bordeaux. « Ce lieu n’est pas réservé aux touristes qui visitent le musée mais devrait devenir une adresse pour les riverains avec de nombreuses animations, des expositions, des signatures et des concerts comme celui que nous avons organisé à Noël avec l’organiste Charlie O qui a fini à point d’heure en jouant L’Internationale en free jazz. »

Alors, pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure, l’appel d’offres pour la librairie du musée Picasso court jusqu’au 4 juin, en attendant la très convoitée concession du musée du Louvre qui arrive à échéance en 2014. Mais les candidats, dont la RMN, se bousculent déjà au portillon. <
A.-L. W.

(1) Voir LH 938, du 25.1.2013, p. 28.

Y a-t-il encore un chef dans le rayon ?

 

De moins en moins de spécialistes tiennent les rayons art des librairies. La tendance est à la polyvalence et aux commandes groupées avec le pratique ou d’autres livres illustrés. Une conséquence des difficultés du secteur ?

 

L’Ecume des pages, Paris.- Photo OLIVIER DION

Alors que le rayon beaux-arts accuse un important recul, les chefs de rayon spécialisés tendent à disparaître. Si maintenir des librairies pointues dans ce secteur devient une gageure, c’est peut-être aussi sa seule chance de survie. « Aujourd’hui, il ne faut plus parler de chefs de rayon au sens classique du terme, mais plutôt de gestionnaires, avec une grande polyvalence générale », constate Marc-Alexis Baranes, directeur marketing et commercial chez Somogy. «Hormis dans les librairies des musées, plus personne ne s’occupe exclusivement des beaux-arts », confirme pour sa part Bernard Amoyel, responsable des ventes chez Hazan. Pourtant, «se spécialiser est une bonne façon de répondre aux attentes de la clientèle », remarque de son côté Marc de Villeneuve, cadre commercial chez Flammarion, qui note un réel désir dans ce sens des libraires de premier niveau.

 

 

Flexibilité.

Un peu partout, la réduction du personnel, pour des raisons de coût et de masse salariale, rend la flexibilité nécessaire, et cela d’autant plus que l’activité beaux-arts se caractérise par une forte saisonnalité. « De janvier aux grandes vacances, ce sont les catalogues d’exposition qui tirent les rayons, mais ceux-ci ne deviennent réellement des rayons de livres d’art qu’au cours des quatre derniers mois de l’année », observe Isabelle Angeli, représentante chez Actes Sud. Chaque librairie joue donc sa partition, en fonction de son marché local.

 

Pour Marc-Alexis Baranes, «la spécialisation s’opère même au sein de quelques librairies, et non au sein des rayons ». Les librairies de taille moyenne vivent essentiellement de l’actualité, sans entretenir de fonds important et en privilégiant la polyvalence de leur personnel. Seule la taille critique des principales structures leur permet de conserver une offre importante et une organisation relativement segmentée. Bien que l’hypothèse se vérifie de moins en moins dans des grandes librairies qui franchissent elles aussi le cap de la polyvalence.

A Bordeaux, notamment, Mollat a ainsi intégré depuis trois ans le rayon livres d’art au sein d’un pôle image englobant également la jeunesse, la musique ou les voyages. « Cette nouvelle organisation a permis de développer une vision plus générale du secteur et d’étendre certains rayons, souligne Paul-Emmanuel Roger, le responsable du pôle image. Par exemple, l’architecture n’occupait qu’une partie du rayon beaux-arts ; elle dispose maintenant d’une place à part. Ce rayon a été développé car nous avons à Bordeaux une école et une biennale d’architecture au retentissement important. »

Une polyvalence qu’on retrouve dans plusieurs autres librairies et qui n’est pas pour déplaire à Bernard Amoyel : « Au lieu d’avoir affaire à plusieurs acheteurs, les représentants travaillent avec un seul interlocuteur. C’est plus simple, on n’a pas besoin de revenir plusieurs fois, surtout dans les grosses structures. » « Avoir un seul interlocuteur, cela permet de balayer tout le catalogue plus rapidement », renchérit Sandrine Montoya, représentante pour La Martinière et pour Seuil Jeunesse.

 

 

Commandes et réassorts.

Cependant, « ce n’est pas parce qu’il y a un acheteur unique dans une librairie qu’il n’y a pas de libraire responsable du rayon art », nuance Hélène Clémente, chargée de mission au Syndicat de la librairie française. Le responsable des achats aura en effet tendance à centraliser les commandes de nouveautés afin de ne pas manquer de vente importante et de conserver une vision commerciale d’ensemble de la librairie. Mais ce sont le plus souvent les responsables du rayon qui gardent la main sur le suivi des titres et les réassorts. Selon Hélène Clémente, les réassorts peuvent peser jusqu’à 70 % des commandes d’une librairie.

 

Les marges de manœuvre continuent donc d’exister, d’autant plus qu’«il y a encore quelques spécialistes dans les librairies de premier niveau », assure Sandrine Montoya. Et la spécialisation, qui peut être perçue comme un service supplémentaire, n’est pas forcément antinomique à une organisation par grands pôles thématiques. Mais comme l’observe Marc de Villeneuve, c’est plus difficile dans les librairies des villes moyennes, où, le plus souvent, les responsables beaux-arts ne disposent d’aucune qualification particulière et gèrent ce rayon parmi plusieurs autres.

Pour les éditeurs et les diffuseurs, la difficulté tient finalement à la grande variété des pratiques. Petite ou grande librairie, acheteur unique ou interlocuteurs multiples, les cas de figure sont variés. Responsable commercial chez Interart, Pierre Samoyault insiste sur l’importance de faire « du sur-mesure avec chaque libraire ». « On ne peut pas faire de généralités sur les chefs de rayon. Qu’ils soient spécialistes ou non, c’est surtout leur envie qui va permettre au rayon de vivre », poursuit-il. Un avis partagé par Marc Bédarida, le patron des éditions de la Villette, spécialisées en architecture : « Quelques responsables de rayon art prêtent plus attention au livre d’architecture parce qu’ils ont un attachement particulier à ce domaine », observe-t-il. Mais l’envie seule ne suffit pas toujours : « Les libraires sont très sollicités par les éditeurs pour proposer du contenu qualifié, mais ils ne vont pas non plus ouvrir un marché là où il n’y a pas de demande. C’est parfois générateur d’une certaine frustration pour les éditeurs les plus spécialisés », rappelle Hélène Clémente. < C. K.

 



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