Il suffit de feuilleter la presse locale pour s'en apercevoir. Des dizaines de libraires aguerris ou fraîchement convertis au métier retapent un camion ou une caravane pour partir sur les routes de campagne, à la rencontre de lecteurs qui s'ignorent ou simplement en attente d'un commerce de proximité. D'autres décident de prendre racine dans de petites communes repeuplées par des néoruraux. La librairie, peut-être plus essentielle dans ces territoires qu'ailleurs, se fait alors café, guinguette, point de rencontres et de débats, espace d'ateliers et de coworking.
« C'est à la fois une mode et un impératif. Le livre seul ne dégage pas assez de marge pour faire survivre une librairie en petite ville ou en campagne, on est obligés de rajouter des produits annexes à forte marge comme des ateliers payants, des jeux, de la papeterie, un salon de thé », estime Michel Deshors, cofondateur de l'organisme de formation Book Conseil. Sur les 87 dossiers ouverts actuellement, un tiers au moins vise une installation dans une commune de moins de 5 000 habitants. « On descend dans des villes plus petites car les zones blanches sont de moins en moins nombreuses », explique celui qui accompagne les porteurs de projets. Parmi eux, beaucoup de personnes en reconversion, « qui gagnaient bien leur vie mais dans un monde qui ne les satisfaisait pas ».
« Lieux bizarres »
En Bretagne, où a été créée en 2007 la Fédération des cafés-librairies, ce mouvement est ancien mais bel et bien amplifié depuis la crise du Covid, aussi bien en bord de mer que dans les terres. « Le phénomène est là, impressionnant et parfois questionnant... Est-ce que tout ce monde-là va arriver à en vivre ? », s'interroge Valérie Fèvre, présidente de cette fédération unique en France, qui rassemble 15 structures et reçoit de nombreuses demandes d'adhésion. « Au départ, nous étions perçus comme des cafetiers qui avaient des bouquins dans leurs lieux bizarres, il a fallu faire réseau, s'entraider, pour défendre notre statut de libraire », rappelle Valérie Fèvre, qui tient depuis 2008, avec son associée Agnès Godin, le café-librairie jeunesse La Cabane à Lire, à Bruz (Ille-et-Vilaine).
Depuis, la Fédération s'est imposée comme un acteur incontournable de la région, avec trois manifestations littéraires organisées chaque année par les adhérents et par la coordinatrice, salariée à temps plein. Quand un lieu membre du réseau est racheté, il lui faut attendre un an avant de pouvoir s'inscrire à la Fédération. « Il faut du temps pour éprouver la réalité du café-librairie, cette double activité est très chronophage », justifie la présidente qui travaille au moins 50 heures par semaine.
Espace commun
Plus au Sud, en Nouvelle-Aquitaine, on vient de toute la France afin d'acquérir « les bases pour créer une librairie alternative ».« C'est l'une de nos formations qui fonctionne le mieux », souligne Chloé Rivolet, responsable réseau de la Coopérative Tiers-Lieux qui a coproduit ce parcours en 2017 avec Claire Jacquemin, animatrice de la formation et fondatrice en 2012 du Temps de Vivre. Ce lieu hybride basé à Aixe-sur-Vienne (Haute-Vienne), une commune de 5 800 habitants, accueille une librairie-café généraliste, mais aussi des espaces communs comme une cuisine, à partager en autonomie, et des salles pour travailler, recevoir des associations, faire la fête, organiser des expositions.
« Sur les 310 tiers-lieux en activité en Nouvelle-Aquitaine, seule une dizaine compte une librairie. Ça reste donc à la marge mais lorsqu'elle existe, cette offre de service s'installe en milieu très rural », indique Chloé Rivolet. Ainsi, suite à la fermeture de la dernière librairie du village, les habitants de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), commune la plus pauvre de la région, se sont mobilisés en 2018 pour ouvrir La P'tite librairie au sein du tiers-lieu Cœur de Bastide, en partenariat avec La Colline aux livres de Bergerac. Elle en constitue aujourd'hui une sorte d'annexe, fonctionnant comme un dépôt-vente de livres de l'enseigne bergeracoise.
Ces modèles alternatifs essaiment partout en France, sous forme de commerces fixes ou ambulants, aux formats mini ou maxi, portés par des libraires qui écrivent l'avenir du métier hors des grandes villes. Nous vous invitons à découvrir cinq de ces lieux singuliers qui ont éclos ces deux dernières années.