Fatigués mais pas découragés. Tandis que les Français, avides de grand air après l'épreuve du confinement, s'éparpillaient sur les littoraux de l'Hexagone, les libraires ont passé l'été au charbon. « On finit la journée en KO technique », admettaient Valérie et Benoît Le Louarn, de la librairie Le Renard à Paimpol, à la fin d'un mois de juillet en belle progression. Entre mi-mars et mi-mai, ils ont appliqué une fermeture stricte de leur magasin, puis, dès le 11 mai, ils ont étendu leurs horaires d'ouverture d'une demi-heure à midi, et réservé un créneau supplémentaire le soir aux personnes à risques. Une surcharge de travail au bilan satisfaisant, mais difficilement tenable sur la durée, « tant il est épuisant de veiller en permanence à ce que les clients respectent les règles ».
Après deux mois catastrophiques sur le territoire (- 33 % en mars, - 56 % en avril d'après nos données Livres Hebdo/I+C), l'affluence des clients dès le déconfinement et l'attention médiatique accordée à la librairie indépendante ont permis un rebond en juin (+ 22 %) et en juillet. « Nous avons été entendus par le ministère de l'Économie, qui a déployé un fonds de 25 millions d'euros de subventions pour compenser nos charges fixes, et une enveloppe de 12 millions pour se moderniser », se félicite Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la libraire française (SLF).
De l'avis général, les plans d'urgence et de relance du Centre national du livre (CNL) vont permettre de « remettre du carburant dans la machine ». Mais la pause forcée laissera des traces. « Le professionnalisme de la distribution n'est pour l'instant pas au niveau de celui des libraires », déplorait début juillet Frédéric Porcile, gérant d'Esprit BD et coprésident de l'association Chez mon libraire.
Le flou juridique entourant les livraisons et retraits de livres jusqu'à la fin mars, et la ligne claire du SLF, qui a appelé à une fermeture des librairies au nom de l'urgence sanitaire, a vu la profession se déchirer. « Certains de mes clients se sont sentis abandonnés », souligne Sophie Fornairon, propriétaire de la Librairie du Canal (Paris 10e), qui aurait souhaité que le syndicat étudie la possibilité de rouvrir les librairies comme évoqué dès le 19 mars par le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire.
Repenser la chaîne
Pour beaucoup de professionnels du livre, cette rupture inédite de la chaîne de commercialisation a été l'occasion de réfléchir à ses dysfonctionnements. « Il faudrait que ce coup d'arrêt ne soit pas exceptionnel mais régulier pour les éditeurs », réclamait, dès le 6 avril, l'éditeur Benoît Virot (Le Nouvel Attila) dans la tribune « Pas plus la crise que d'habitude », publiée sur un blog de Mediapart. « Cet arrêt de nouveautés a fait un bien fou », renchérit la libraire Marija Meresse, propriétaire des Champs magnétiques (Paris 12e), réclamant une prise de conscience des éditeurs sur la quantité de parutions.
La lutte contre la surproduction, premier levier de la relance ? Outre ce vieux serpent de mer, la crise a montré l'attachement du public à la librairie indépendante. De quoi galvaniser le SLF, pour qui les diffuseurs-distributeurs « doivent investir massivement sur la librairie de premier niveau, avec des remises plancher de 36 % », selon Guillaume Husson. La mise en place de tarifs postaux préférentiels pour les envois de livres, une autre revendication ancienne du syndicat, pourrait, elle, aboutir enfin et apporter une bouffée d'air tant aux petits éditeurs qu'aux libraires.
Et si, face aux plateformes de ventes en ligne, le salut passait par de nouvelles pratiques de livraison ? «Le numérique a été omniprésent pendant le confinement, et les gens ont pris des habitudes de livraison avec des standards élevés, estime l'économiste Philippe Moati, interrogé pour LH Le Magazine. La librairie va devoir mettre un coup d'accélérateur là-dessus.»