Venue de la Cour des Comptes, qu’est ce qui vous a le plus frappée lorsque vous êtes arrivée en 2006 au Syndicat national de l’édition?
La créativité et la réactivité qui règnent dans ce monde. L’édition est aux prises avec l’actualité, doit anticiper les courants de pensées, les tendances, repérer les voix montantes… Les éditeurs sont des passionnés, ce qui permet cette longévité dans la profession. On demeure éditeur aussi longtemps que l’on vit. Je suis arrivée à une période très particulière pour le métier puisque j’ai accompagné la transition numérique des éditeurs généralistes. C’est ce qui a été le plus passionnant: la découverte de cet univers avec un passé glorieux, de ce monde dont il faut se faire accepter, un monde extrêmement cultivé qui s’est retrouvé confronté aux "Gafa".
Quel est le premier dossier qui vous a marquée?
Tout le procès Google, qui a débuté en 2008 et duré six ans. Je me souviens notamment lorsqu’avec Antoine Gallimard, alors président du SNE, nous avons rencontré le directeur juridique de Google. C’était très intéressant. Et puis en 2011, il y a eu cette perquisition au Syndicat. La direction générale de la concurrence de Bruxelles avait émis un mandat dans le cadre d’une enquête sur le livre numérique, ce qui avait entraîné la fouille de nos locaux et de nos ordinateurs. Finalement il n’en était rien ressorti et ni le SNE, ni Flammarion, Gallimard, La Martinière ou Albin Michel n’ont fait l'objet d'aucune action. Plus généralement j’ai eu plaisir à travailler avec nos collègues européens, notamment au sein de la fédération européenne des éditeurs. Avec mon successeur Pierre Dutilleul, il y a une grande continuité sur ce point.
Quelle est selon vous la particularité du monde du livre?
La force du monde de l’édition est sa capacité d’apprentissage, je l’ai vue notamment lorsque les éditeurs se sont confrontés au monde du numérique. Dès 2008, des assises du numérique ont été créées, et où nous avons eu à cœur de montrer, notamment aux politiques, que nous n'étions pas des ringards. L’anticipation de l’arrivée du numérique a été exemplaire avec la transposition de la régulation du livre de manière ordonnée avec le prix unique et la TVA à taux réduit pour les ebooks. Nos sujets ont toujours emporté un consensus politique et toutes les lois (TVA du livre numérique en 2010, transposition du prix unique au numérique en 2011 et indisponibles en 2012) ont été votées à l’unanimité. Les éditeurs, au travers du syndicat, savent s’unir. Ce syndicat professionnel est un lieu où l’on essaie de bâtir l’intérêt collectif et participer à l’intérêt national. Pour moi qui suis fonctionnaire, ce sont des choses importantes.
Vous vous êtes particulièrement investie dans une opération: les Petits Champions de la lecture.
J’avais à cœur que le SNE ne soit pas uniquement un organisme perçu comme corporatiste, mais qu’il défende, au-delà de la profession, des valeurs comme la lecture. Lors de mon premier Francfort, j’avais découvert le concours de lecture à voix haute créé en 1959 par le Börsenverein, leur syndicat professionnel. Lorsque j’en ai parlé aux éditeurs jeunesse, ils étaient plutôt mitigés. Mais cela me tenait vraiment à cœur et j’ai réussi à convaincre des éditeurs, à trouver l’argent... J’ai créé une association, "Les petits champions de la lecture", soutenue par le SNE et présidée par Antoine Gallimard. La première édition de cette opération, résolument ludique pour donner envie de lire, a eu lieu en 2012. Je continuerai à m’en occuper à titre associatif.
Qu’allez-vous faire après votre départ du SNE?
Lire encore plus! Je retourne certes à la Cour des comptes, mais j’ai aussi une pile de livres qui m’attend. Le livre, pour moi, est une vocation et une passion. Je suis une grande lectrice – j’avais deux heures de transport en commun chaque jour, ce qui me permettait de lire deux livres par semaine – et j’ai donc vécu dix années de bonheur à côtoyer les éditeurs, ceux qui font vivre le livre et la littérature. Je reste proche du milieu du livre avec les Petits champions, mais aussi dans le jury du prix Franz Hessel de littérature contemporaine. C’est un engagement qui date d’avant le SNE. Je fais partie depuis 20 ans de la Fondation Genshagen, à Berlin. Je suis germanophone car ma mère est allemande, et je lis avec plaisir les romans en français et en allemand pour ce prix franco-allemand qui a été créé en 2010 en partenariat avec la Villa Gillet.