Découvert avec deux premiers romans parus chez Champ Vallon, Le cimetière américain (2003, repris en J'ai lu) et Jura (2005), Thierry Hesse avait d'emblée intégré le peloton des écrivains français importants. Avec Démon (L'Olivier 2009, repris en Points), son troisième opus, le Messin faisait preuve d'un souffle et d'une ambition plus remarquables encore.

On le retrouve en cette rentrée avec L'inconscience, où il raconte l'histoire des deux frères Vogelgesang. Carl est le cadet, Marcus l'aîné. Ils ont grandi au sein d'une famille catholique alsacienne avec un père, Wilhelm, que sa très pieuse épouse Esther appelait "Wil" ou "mon chéri". D'abord dans un appartement du centre-ville de Metz, puis dans une maison du quartier du Sablon, Thierry Hesse pratique des allers et retours.

A 49 ans, Carl est devenu un homme tranquille, assureur et père de trois enfants. Ce qui ne l'a pas empêché de tomber dans un coma profond après une chute de trois étages à travers la fenêtre de son bureau. Etabli à Roubaix, Marcus, lui, est désormais un professeur ascétique, mais pas insensible aux charmes de certaines de ses étudiantes aux "gros seins ronds".

Alors qu'il imagine montrer Paris, Texas de Wim Wenders à Carl pour le stimuler, Gladys, l'épouse de ce dernier, consulte un neurologue réputé pour ses méthodes particulières, qui travaille en collaboration avec un psychanalyste. Qu'est-il arrivé à un Carl ayant pendant cinquante ans marché droit, "droit comme un soldat, si droit que cela paraissait incroyable" ? Le lecteur comprend petit à petit que les frères ont été un moment fâchés, se sont perdus de vue et retrouvés. Qu'ils ont appréhendé de manière différente la mort de leur père et la vente de la maison...

Il y a dans L'inconscience tout le questionnement qui fait le sel des livres de Thierry Hesse, cette manière de creuser les êtres et leurs démons, leurs parts d'ombre. Puissante variation sur la fraternité, réflexion sur les virages de l'existence, le roman de Hesse est le nouveau jalon d'une oeuvre singulière.