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Les défis du marché belge

La librairie Tropismes à Bruxelles. - Photo Cécilia Lacour

Les défis du marché belge

Entre résilience, fragilité et capacité d'adaptation face à un contexte économique menaçant, le marché du livre est loin d'être un fleuve tranquille en Belgique francophone.

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Par Cécilia Lacour
Créé le 09.05.2024 à 11h00

Dans un contexte économique déjà tendu, le marché du livre belge a vu une menace surgir au début de l'année 2023. Celle d'une possible augmentation de la TVA de 6 à 9 %. Après une forte opposition de la part de la chaîne du livre et de plusieurs ministres, le projet a été enterré en juillet dernier. Mais plusieurs personnes craignent son retour sur le devant de la scène. « C'est une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes », déplore Pascal Colombel, le gérant de la librairie Tropismes à Bruxelles.

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L'opération « Lisez-vous le belge ? » sur une table de la librairie Tropismes, à Bruxelles.- Photo CÉCILIA LACOURCÉCILIA LACOUR

Au-delà de cette mesure, les personnes interrogées pointent un manque de soutien de la part des pouvoirs publics. « Avec une enveloppe de 5,2 millions d'euros, le livre ne pèse que 0,5 % du budget du ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles », s'agace Benoît Dubois, directeur de l'Association des éditeurs belges (Adeb), qui estime que le gouvernement a « définancé » le livre dans un contexte inflationniste. « Le secteur du livre est chroniquement sous-financé en Belgique. En raison du mille-feuille institutionnel, il existe un saupoudrage des aides et il nous manque une politique du livre cohérente, globale et articulée », complète Thierry Horguelin, coordinateur de l'association Les Éditeurs singuliers.

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Benoît Dubois, directeur de l'Association des éditeurs belges lors de la Foire de Bruxelles 2024.- Photo CÉCILIA LACOUR

 

Des librairies dynamiques

Pourtant, en Belgique francophone, la librairie indépendante reste un commerce de proximité attractif. « Le sentiment d'après-Covid est resté, et le public continue d'acheter des livres et de venir dans nos enseignes pour avoir du conseil », se réjouit Catherine Mangez, associée et cogérante de la librairie Papyrus à Namur, et coprésidente du Syndicat des libraires francophones de Belgique (SLFB). La libraire pointe également le dynamisme du secteur avec « l'ouverture de plusieurs enseignes au cours des derniers mois ».

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Thierry Horguelin, coordinateur des Éditeurs singuliers.- Photo DR

 

Le marché belge de l'édition résiste. Selon des estimations GFK, il a généré l'année dernière un chiffre d'affaires de 219 millions d'euros. Soit une baisse de 1,2 % en valeur et 5,9 % en volume. Ces chiffres sont cependant à prendre avec précaution. Très importante en Belgique, la vente directe représente « environ 10 % du chiffre d'affaires et échappe à GFK », prévient Benoît Dubois. L'organisme publiera des données consolidées en juin prochain. « Lorsque l'on considère les chiffres, le marché du livre se porte globalement bien », estime Thierry Horguelin. Les indicateurs sont particulièrement au vert pour la littérature générale et le rayon tourisme, seuls segments en hausse l'année passée. Et, à en croire Benoît Dubois, la littérature jeunesse soutient la librairie. Laquelle s'en « sort mieux que les autres circuits de vente », précise-t-il.

Affirmation

Le poche contribue également à la bonne santé des enseignes. « Le panier moyen reste stable, mais les lecteurs se déportent vers le poche », constate Catherine Mangez. Cette bonne nouvelle pour la librairie l'est moins pour l'édition belge. « Le marché du poche nous échappe », pointe Thierry Horguelin. En effet, le paysage éditorial de la Belgique francophone est caractérisé par une myriade de petites structures dont « le faible volume de production rend difficile le passage en poche », indique Benoît Dubois. Si bien que les ventes de titres au format poche profitent davantage aux maisons de l'Hexagone qu'à leurs voisines belges.

De par leur taille, ces dernières sont, pour beaucoup, autodiffusées et distribuées. Depuis un an, l'Adeb et les Éditeurs singuliers ont donc mis sur pied un service de mutualisation de la distribution pour vingt-deux maisons, après la signature d'un accord avec MDS Belgique. « Cela a permis aux maisons d'être mieux accueillies en librairie et certaines ont depuis doublé leur chiffre d'affaires », se félicite Thierry Horguelin. D'ici cet été, ce service va monter en puissance pour pénétrer le marché français (lire encadré ci-contre). Mais le retrait programmé de MDS Belgique du territoire, prévu pour la fin d'année, a contraint les deux associations à rechercher un nouveau partenaire. Son identité sera prochainement dévoilée.

Si la présence en librairie des maisons belges est importante, leur visibilité se révèle cruciale. Surtout face à l'omniprésence des catalogues provenant de l'Hexagone. Depuis 2019, la Fédération Wallonie-Bruxelles organise donc la campagne de promotion « Lisez-vous le Belge ? » Coordonnée par le PILEn (Partenariat interprofessionnel du livre et de l'édition numérique), elle invite les enseignes à proposer un assortiment de titres belges francophones dans un espace dédié.

Dangereuse inflation

Alors que le livre belge, défini comme « fragile et précaire » par Thierry Horguelin, cherche à s'affirmer, il est freiné par l'économie et la politique. Si la France a été protégée par le bouclier tarifaire au plus fort de l'inflation, cela n'a pas été le cas pour nos voisins. Le prix de l'énergie a explosé. Dans le même temps, les loyers et les salaires ont aussi connu une augmentation à deux chiffres. Si l'indexation des salaires est saluée comme étant une bonne mesure sociale, elle se révèle pénalisante pour les entreprises. « Toutes les enseignes n'ont pas les mêmes leviers pour réagir face à cette hausse », estime Catherine Mangez. Au sein de Papyrus à Namur, l'équipe - « dont la moitié est actionnaire » de la librairie - a notamment fait le choix de « différer un peu l'augmentation des salaires ». Et étant « propriétaires du bâtiment », Catherine Mangez et ses collègues ont également plus de marge de manœuvre dans la « gestion des charges ».

À Bruxelles, en revanche, la situation est plus délicate pour le gérant le la librairie Tropismes, Pascal Colombel. « Les entreprises ne sont pas accompagnées face à ces indexations, et de nombreuses PME peuvent être contraintes à licencier du personnel », affirme-t-il. Le libraire se refuse à se séparer d'une partie de son équipe et tente de compenser au mieux. « Réduire la masse salariale serait une solution à court terme nocive car, au-delà du drame social, elle aurait un impact direct sur le service client et sur notre activité au quotidien sur le long terme », estime Pascal Colombel. Le gérant constate par ailleurs que, dans le même temps, « les remises n'ont pas augmenté » pour soutenir les enseignes indépendantes.

Sans compter que le prix unique du livre, mis en œuvre depuis 2018, renforce les difficultés. Cette mesure reste, certes, une « force » pour Pascal Colombel. Mais, comme pointe Benoît Dubois, les prix de vente pratiqués en Belgique sont indexés sur ceux de la France. « L'augmentation des prix français n'est pas suffisante pour nous, affirme-t-il. Un livre vendu à 22 euros en France devrait être proposé à 24 euros en Belgique. » La librairie souffre aussi d'une forte érosion de ses ventes institutionnelles. À en croire Catherine Mangez et Pascal Colombel, cette baisse a été compensée, dans leurs librairies respectives, par les ventes au comptant. Mais la perte de ces marchés publics représente un défi supplémentaire à relever.

Peu de soutien politique

De son côté, Catherine Mangez regrette avant tout que les « budgets d'aides à l'animation n'aient pas bougé depuis douze ans ». Mais surtout, elle pointe un manque de soutien à la création et à la lecture. « Ce n'est pas tant sur le commerce du livre que nous devons avoir de l'aide mais sur les actions de promotion de la lecture en bibliothèque et dans les écoles », affirme-t-elle.

En Belgique, l'année 2024 se caractérise par un nombre record d'élections. En juin, les citoyens et citoyennes belges sont appelées aux urnes dans le cadre des élections régionales, fédérales et européennes avant de retrouver les bureaux de vote en octobre pour les élections communales et provinciales. Le livre a profité de cette intense période pré-électorale pour faire entendre sa voix. « Elle a été l'occasion de sensibiliser les partis politiques aux enjeux du livre, assure Thierry Horguelin. Nous avons l'impression d'avoir été entendus. Maintenant, nous attendons des propositions concrètes. »

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