Le mistral et le soleil se disputent pour savoir quelle sera la dominante du week-end, et la ville de Manosque s’est transformée en capitale de la correspondance. Là un écritoire dans une boîte aux lettres géante, ici perchée dans les arbres, une autre (le terme est épicène). Alors que trois des principales places de la ville se sont ornées de scènes sur lesquelles les auteurs échangent avec des modérateurs et entre eux.
« Nous avons des obligations vis-à-vis du public, ce n’est pas un festival d’été qui vise les touristes. Il doit séduire le public local et régional qui représente 85 % de la fréquentation, explique le directeur du festival Olivier Chaudenson. C’est pourquoi on travaille à transformer la ville visuellement, avec les écritoires notamment. On veut surprendre avec de la musique, des images. Multiplier les signes d’hospitalité pour promouvoir une littérature exigeante et rebattre un peu les cartes. Mais on ne s’interdit pas non plus d’inviter des auteurs au succès justifié. »
Auteurs sur scène
Au Théâtre, c’est avec des musiciens et des comédiens que les auteurs et les textes dialoguent. Quand il ne s’agit pas d’écrivains également chanteurs comme Florent Marchet, Marie Modiano ou Gaël Faye, sur la grande scène le samedi soir. Les queues sont fournies, le public impatient. Pour aller écouter le romancier et rappeur qui caracole en tête des ventes ; comme la comédienne Dominique Raymond qui lit « Jeanne par Jeanne Moreau » ; ou Dominique A qui interprétait son album Memento écrit avec le critique de jazz Jean-François Mondot qui souhaitait « traduire en chansons le brouillard des livres de Patrick Modiano ».
Parmi les auteurs présents à Manosque on retrouve les romanciers les plus présents sur les listes des grands prix d’automne comme Abdellah Taïa, Gabriella Zalapi, Rebecca Lighieri ou Julia Deck. Le livre de cette dernière était lu sur scène par des lycéens de la ville. Alors que Philippe Jaenada profitait de la scène pour revenir sur la genèse de son nouveau roman La désinvolture est une bien belle chose (Mialet-Barrault) et enjoindre les spectateurs à regarder la petite vidéo qu’il a faite pour présenter la bande de jeunes parisiens au cœur de son récit. Démontrant, presque paradoxalement, le caractère multimédia de ce festival.
Manosque, premier festival de France ?
« En 1999 nous avons sans doute été les premiers à proposer un festival et pas un salon, se souvient Olivier Chaudenson. Ce qui implique un budget plus important. Nous rémunérons les auteurs depuis 20 ans. Cela responsabilise, on invite un peu moins. D’autant qu’il faut également consacrer un budget aux musiciens et aux comédiens. »
Des investissements permis notamment par l’aide par la ville, la région, le CNL, la Drac-Paca ou la Fondation La Poste qui est le mécène de plusieurs festivals autour de la correspondance (Manosque, Grignan…) ou du journal intime (Saint-Gildas-de-Rhuys…). « À la fin des années 1990, le courrier représentait 70 % du chiffre d’affaires de La Poste, aujourd’hui c’est 16 %, constate Anne-Marie Jean, déléguée générale de la Fondation. Mais nous restons attachés à tout ce qui promeut le développement humain par l’écriture. »
La Fondation finance également le prix envoyé par La Poste remis à Nancy voici 15 jours, dont elle note qu’il « met particulièrement en avant le travail de l’éditeur. » Son gagnant Anatole Édouard Nicolo, pour À l’ombre des choses (Calmann-Lévy) est également présent à Manosque avec plusieurs autres primo-romanciers comme Eliot Ruffel (Après ça, L’Olivier) ou Célestin de Meêus (Mythologie du .12, Le sous-sol).
Chaque année le festival accueille 17 à 18 000 visiteurs. Chiffre qui correspond à peu près au nombre de lettres qui sont écrites pendant le festival. « Certains en écrivent cinq, d’autres aucune », ajoute Olivier Chaudenson. Il poursuit : « On ne veut pas grandir, on veut être chaque année plus inventifs. »
Un enthousiasme qui contraste avec un constat plus mesuré quant aux contraintes qui pèsent sur l’économie des festivals. « Ça a été difficile au début et c’est à nouveau difficile aujourd’hui. Les subventions stagnent depuis 10 ans, alors que les dépenses augmentent particulièrement avec la vague d’inflation depuis deux ans. »
À Manosque, les recettes vont aux librairies de la ville et pas à l’organisation. « Il y avait une librairie de BD et deux généralistes à Manosque. L'une des deux a fermé, mais une autre va ouvrir en janvier, se réjouit l’organisateur. Le festival, pour les libraires, c’est l’équivalent de la recette de Noël, c'est loin d’être négligeable. »