L’intelligence, c’est mettre les choses en lien. La mort, on a beau y penser, on n’y comprend rien, elle demeure inintelligible : quel rapport en effet entre cet être qu’on a aimé, auprès duquel on a vécu tant d’années et cette chose muette, ce simulacre kitsch de vivant ? Le narrateur de En beauté de Kim Hoon a accompagné jusqu’au dernier souffle son épouse qui vient de mourir des suites d’une tumeur au cerveau. Ce cadre dirigeant d’une grande entreprise de cosmétiques constate que le corps décharné de feu sa femme n’a que très peu à voir avec son portrait qui sourit timidement dans la chambre funéraire. Leur fille est en pleurs. Les collègues défilent, même son patron s’est déplacé, également pour rappeler au responsable de la campagne sur les nouveaux produits de l’été qu’il faut se remuer pour trouver le slogan et lancer la campagne publicitaire. Kim Hoon dépeint la maladie et la mort avec une acuité sans concession : devant la vision du sexe de sa femme récemment décédée, il se demande comment ce vagin racorni a bien pu mettre au monde leur enfant. La vieillesse et son naufrage n’échappent pas non plus au regard scrutateur de l’écrivain coréen : le narrateur a un problème de prostate qui l’empêche d’uriner, et ne réussit à vider sa vessie qu’avec peine. La douleur, l’odeur, rien ne nous est épargné. Aiguisée comme une lame, sa prose tranche dans le vif de la chair du réel. Descriptions cliniques et juxtaposition d’images ou de situations incongrue - les fesses de Chun Eunju, la jolie collègue, qui se prosterne selon l’usage devant la dépouille et la photo de la défunte qui sourit : le désir présent qui ne s’incarnera jamais et le désir qui s’incarna mais qui n’est plus. L’absurde de la vie.
Né en 1948 à Séoul, Kim Hoon est un auteur connu et apprécié en Corée. C’est avec sa deuxième fiction, Le chant du sabre (Gallimard, 2006), qui lui valut en 2001 le prestigieux prix Dong-in, qu’il est traduit en France. Un roman sur une figure historique coréenne de la fin du XVIe siècle, l’amiral Yi Sun Shin, qui repoussa l’envahisseur japonais et dont la narration est un long chant des regrets. Dans En beauté, magistralement traduit, le jeu de mots du titre original sur la mort - mourir en beauté - et l’industrie cosmétique est particulièrement bien rendu), Kim Hoon distille la nostalgie toute tchékhovienne d’un vieil amant manqué dans une société coréenne contemporaine sous pression permanente où l’on parle business même à des obsèques. Il signe un récit magnifique, d’une glaçante solitude. S. J. R.