Quand, durant ses études de lettres modernes, Coline Meirieu est vacataire à la Part-Dieu, la bibliothèque centrale de Lyon, elle se dit à l’époque que le métier n'est pas pour elle. Quelle énorme machine aux métiers cloisonnés ! Elle se dirige alors vers l’édition… avant de revenir aux bibliothèques.
« Je m’adressais à des connaisseurs qui avaient déjà une forte appétence pour la lecture. Et chasser des espaces insécables dans mon coin, je me disais que c’était assez vain. Je voulais trouver une autre utilité sociale, être dans un service public, monter des projets avec d’autres personnes, permettre au plus grand nombre d’accéder à des livres mais aussi à du soutien numérique ou à la recherche d’emploi », énumère celle qui a aussi songé à travailler dans la protection de l’enfance.
Bibliothèques populaires
Coline Meirieu passe donc le concours de bibliothécaire en 2011 et arrive à Argenteuil, dans sa bibliothèque idéale : de proximité et populaire, avec une forte mission d’éducation artistique et culturelle auprès des enfants et ados. Elle se souvient de la résidence d’auteur de François Bon qui avait écrit avec des élèves allophones.
Après un passage à Aix, elle rejoint un nouveau quartier populaire, à Marseille, dans la médiathèque Salim Hatubou. Lors de notre rencontre, des ados la saluent, lui parlent de leurs problèmes. Elle connaît leurs prénoms. « Finalement, il m’arrive très rarement de conseiller un livre. C’est un métier social avant tout ! »
L’équipe aide aux devoirs, les enfants leur montrent leurs bulletins de notes. « On fait en sorte qu’ils voient que la bibliothèque est faite pour eux, qu’ils y sont légitimes. Il s’y joue quelque chose de magique : ce sont pratiquement les derniers lieux de mixité sociale, où les gens peuvent se côtoyer, échanger… Ce sont des bastions qu’il faut protéger, des utopies réalistes », défend-elle sans lyrisme. Douce et franche.
Construire une médiathèque avec les habitants
Se côtoyer oui, mais échanger ? Elle donne l’exemple de grands-mères qui jouent aux échecs et attirent d’autres joueurs, ou d’une petite fille lisant à voix haute « qui avait attiré dix gamins autour d’elle ». « À Loubon, c’est ça qu’on veut : un forum à l’entrée comme un lieu de vie avec des jeux. Ce sont de grands leviers de rencontre », se projette-t-elle.
Loubon, c’est la future médiathèque qu’elle doit créer dans le IIIe arrondissement, qui en est dépourvu malgré ses 50 000 habitants. « On connaît ce quartier avec ses problèmes de pauvreté, de violence, de trafic de drogue, mais s’y joue une dynamique associative et citoyenne incroyable. Des habitants font le boulot des services publics », décrit celle qui doit maintenant imaginer avec eux comment remplir les 3 500 m2 d’une ancienne minoterie, dont 1200 m2 pour la médiathèque.
Chats et toboggans
Où pourra-t-on faire du bruit ? Quels livres et jeux acheter ? Des enfants ont dû dessiner leur bibliothèque idéale « mais en groupe, pour comprendre que leur idéal n’est pas celui des autres ». Lors d’un projet de six mois avec une artiste, un autre jeune a dessiné l’histoire d’un garçon dont les parents n’ont pas de quoi lui payer la cantine, se rend à la bibliothèque et révise pour entrer plus tard à l’université.
« Ils demandent des espaces pour travailler, du soutien scolaire, des jeux, des livres, des toboggans », s’amuse la responsable des lieux. Et ils demandent tous des chats. Promis, elle va essayer.