Lionel Shriver, Américaine installée à Londres depuis une quinzaine d’années, c’est le choc du terrifiant Il faut qu’on parle de Kevin. Avec Big brother, son cinquième roman traduit en français, sur un sujet moins effrayant, l’écrivaine prouve qu’elle n’a rien perdu de sa force percutante.
Miranda, la narratrice, 40 ans, vit dans une ville fictive de l’Iowa avec son mari Flechter, artiste ébéniste qui fabrique des meubles que personne n’achète, et les deux enfants, âgés de 17 et 13 ans. Elle est à la tête d’une entreprise florissante de fabrication de poupées-marionnettes personnalisées et parlantes. L’équilibre prospère (en apparence) de cette famille recomposée vole en éclats avec l’arrivée du frère aîné de Miranda, Edison, un pianiste de jazz qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans. Elle se souvenait d’un garçon mince et séduisant mais se retrouve à héberger, pour une durée indéterminée, un homme de 175 kilos méconnaissable.
La cohabitation est conflictuelle avec le mari, un obsédé du contrôle, cycliste compulsif exerçant sur son entourage ce que sa femme appelle un "fascisme nutritionnel". Ainsi la tension, comique et tragique, monte en puissance pendant toute la première moitié du livre, jusqu’à ce que Miranda décide de quitter son foyer, de louer un appartement avec son frère pour devenir son coach et entamer avec lui un régime draconien.
Derrière le sujet de société (l’obésité, la dictature de la minceur, les addictions), les questions philosophiques afférentes (le désir, la satiété), Big brother traite une nouvelle fois des liens familiaux, et en particulier des relations entre frères et sœurs. Miranda et son frère forment un duo lié par un attachement premier, résistant et complexe. "C’est auprès d’Edison que j’avais appris la loyauté." Sans doute, l’histoire personnelle de Shriver, dont le propre frère est mort des conséquences de son obésité, explique-t-elle que, dans la fiction, une certaine tendresse tempère le mordant naturel de l’écrivaine. Mais pour autant, il ne faudra pas compter sur elle pour offrir une quelconque sortie rédemptrice. V. R.
