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Les 20 ans de Denoël Graphic : petite collection, grands succès

Jean-Luc Fromental directeur de la collection Denoël Graphic - Photo Rita Scaglia/Dargaud

Les 20 ans de Denoël Graphic : petite collection, grands succès

Depuis 20 ans, l’avant-gardiste collection Denoël Graphic enchaîne les romans graphiques à succès. A l’occasion de cet anniversaire, Livres Hebdo revient sur les meilleurs moments du label et découvre, avec son directeur Jean-Luc Fromental, les nouveaux titres de demain. 

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Par Elodie Carreira
Créé le 21.07.2023 à 16h02 ,
Mis à jour le 24.07.2023 à 10h10

Comment est apparue, il y a vingt ans, la collection Denoël Graphic ?

C’est une vraie histoire d’édition. A l’époque, mon ami Olivier Rubinstein avait pris en main les destinées de Denoël. Il s’était entouré d’une nouvelle équipe, dont Héloïse d’Ormesson et Lili Sztajn, aujourd’hui ma compagne. Héloïse est revenue de la London Book Fair avec un étonnant ouvrage, un roman graphique intitulé Gemma Bovery de Posy Simmonds. Elle savait que j’avais de solides connaissances en bande dessinée alors elle me l’a confié et en le lisant, j’ai dit qu’il fallait absolument le prendre. Lili l'a traduit et je me suis chargé du reste des opérations éditoriales. On était au début des années 2000 et ça a été un énorme succès en presse et en ventes, avec 15 000 exemplaires vendus. Au même moment, Futuropolis, friche de Gallimard, voulait que je reprenne les commandes de la maison d’édition. Mais je n’ai pas pu prendre les pantoufles à mon copain Etienne Robial, donc j’ai préféré prendre la direction de la collection Denoël Graphic.

Combien de titres avez-vous publié en 20 ans ?

Chacun des ouvrages que nous avons publiés était assez inattendu. En 2003, je suis tombé sur David Reeds, un américain inconnu au bataillon, qui avait fait Putain, c’est la guerre ! au moment où les troupes américaines arrivaient en Irak. Le titre a eu une presse énorme. Il a vraiment démarré la collection, mais le premier vrai succès reste Une jeunesse soviétique de Nikolaï Maslov, un type un peu bizarre, gardien de parking. Le bouquin est arrivé par Emmanuel Carrère, qui l’a trouvé dans une librairie française à Moscou. Avec ce titre, qui s’est vendu à près de 17 000 exemplaires, on a cassé un premier plafond de verre. C’était assez monstrueux pour nous. On est une petite collection qui ne fait que quatre titres par an, soit environ 80 depuis notre création.

Après ces premières ventes records, vous avez continué à publier d’autres succès.

C’est vrai qu’il y a eu de grosses pointures. Tamara Drewe, toujours de Posy Simmonds, a été adapté au cinéma aux Etats-Unis, deux ans après sa parution. Puis il y a eu Antonio Altarriba et L’art de voler, un livre magnifique sur la guerre en Espagne et sur son père, qui s’est défenestré à l’âge de 90 ans. Le titre s’est vendu à 50 000 exemplaires et depuis, l’auteur a publié cinq livres chez nous. Dans les pépites de notre collection, on a aussi eu Fun home d’Alison Bechdel, le premier « graphic novel » queer adapté en comédie musicale à Broadway, et qui continue de se vendre dix ans après. Ou encore La Genèse de Robert Crumb, roi de l’underground américain des années 1960. Il ne se montrait pas beaucoup en public, mais on a réussi, avec notre attachée de presse Sylvie Chabroux, à organiser une conférence européenne à Beaubourg pour le lancement du titre. On a monté des coups formidables ensemble. Encore une fois, notre petite taille nous obligeait à taper très fort.

20 ans de Graphic Denoël
Jean-Luc Fromental lors de la soirée des 20 ans du label, à la Maison de la poésie, le 8 juin 2023.- Photo DR


Qu’est-ce qui a changé dans la collection ?

J’ai commencé avec des auteurs étrangers et des thématiques fortes parce que c’était plus simple. D’une part parce qu’acheter un titre à l’étranger est globalement moins cher, malgré les coûts de traduction. Et les gros éditeurs ne pensaient pas aller chercher de ce côté-là, avant. Ça permet, au début, de monter son catalogue. Ensuite, les thématiques engagées de nos titres nous ont permis de nous appuyer sur des publics concernés et d’élaborer des campagnes fondées sur le contenu du texte. La bande dessinée est un phénomène saisonnier. Notre particularité, c’est de profiter des manifestations comme le festival de Cognac pour les romans graphiques polar, pour faire le lancement d’un album. Aujourd’hui, j’attire naturellement des auteurs parce que j’ai des grands noms dans mon label. J’ai environ 60% d’auteurs français pour 40% d’auteurs étrangers. Mais je reste une petite pirogue au milieu des porte-avions donc je conserve des gestes d’anticipation.

Ces « gestes d’anticipation » ont-ils pour objectif de vous défendre face à la concurrence d’un genre en plein essor ?

Je pense avoir été un des premiers, dans les éditeurs généralistes, à ouvrir une collection graphique. J’ai connu le déclin de la BD dans les années 1990 avec la fin des magazines, puis une renaissance dans les années 2000 et de nouvelles floraisons. L’édition est toujours en mouvement, c’est un sport stimulant. Aujourd’hui, je suis obsédé par les nouvelles générations issues de l’animation et qui veulent faire de la BD. Ces nouveaux visages sont jeunes, la trentaine. Ils ont une mentalité qui n’est pas du tout la même que ceux qui sortent des écoles d’art. Ils ont une maturité narrative qui veut se singulariser. Ce sont des gens hors-champs, comme le réalisateur Ugo Bienvenu qui a déjà signé quatre livres chez nous, dont Sukkwan island et Préférence système. D’ailleurs, pour nos 20 ans, il a pensé Le Journal de Mikki qui sera offert pour tout achat de deux titres de la collection. En fait, dans la bande dessinée, ce qui est important c’est d’avoir des gens qui ont un langage cohérent, même si le dessin est cochonnet. Comme en littérature, on cherche des voix. Aujourd’hui, tout le monde se lance dans le roman graphique, mais si recopier peut être une bonne idée, certaines imitations resteront moins bonnes que les originaux et ne dureront pas.

Célébrations pour les 20 ans de Denoël Graphic

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