Entre Jean-Philippe Toussaint et la Chine, c’est une vieille histoire entamée au début des années 2000 et dans laquelle Chen Tong, l’éditeur de ses livres en chinois, basé à Guangzhou dans le sud du pays, tient un rôle déterminant qui a débordé depuis longtemps déjà d’un cadre strictement littéraire et professionnel. Ce Made in China, en forme de témoignage d’amitié et de reconnaissance, est émaillé d’anecdotes drolatiques tirées des nombreux séjours de Jean-Philippe Toussaint en Chine. Se dessine ainsi le portrait d’un éditeur particulièrement polyvalent - libraire, artiste, commissaire d’exposition, professeur aux Beaux-Arts et producteur de films à l’occasion… -, qui fut à moins de 30 ans - il est né en 1962 - le premier éditeur d’Alain Robbe-Grillet en Chine.
Cet hommage se double d’un autoportrait de l’auteur en cinéaste, tentant de réaliser des films dans des conditions toujours acrobatiques, comme lorsqu’il s’agit de trouver un cheval pour la mémorable scène de l’embarquement d’un pur-sang dans un avion de ligne, pour Zahir, vidéo adaptée en 2012 de La vérité sur Marie (Les Editions de Minuit, 2009, disponible en collection "Double").
Plus aventureux et insolite encore, le projet de filmer le défilé en robe de miel, une autre scène emblématique du cycle romanesque "M.M.M.M.", écrite dans le prologue de Nue, le quatrième et dernier volet de la série, paru en 2013. La deuxième partie de Made in China est donc consacrée au récit des préparatifs de tournage en novembre 2014 de The honey dress : repérages de décors potentiels, recherche de l’actrice pour le rôle du mannequin, visite chez un apiculteur susceptible de diriger un essaim d’abeilles en vol, déniché par l’indispensable Chen Tong…
Sorte de journal making of romancé - puisque, préconise Jean-Philippe Toussaint, "si l’on veut que la réalité chatoie, il faut bien la romancer un peu" -, ce livre assez inclassable illustre la difficulté de faire coïncider les idées-visions du cinéaste avec les moyens du bord, dans un pays largement indéchiffrable. C’est aussi l’occasion de méditer sur "Le Fatal et le Fortuit" : la part du hasard dans la création artistique. Et d’éprouver la si nécessaire "disponibilité du créateur". V. R.