"L'avocature"

Le titre du livre et sa difficile protection

Le titre du livre et sa difficile protection

L'avocature est-il un titre original ou un terme usuel devenu banal. Le Tribunal de grande instance de Paris a récemment tranché le litige qui opposait deux avocats et auteurs ayant utilisé ce terme pour leur livre.

Le titre d’une œuvre est protégeable, qu’il soit original ou non. Mais la jurisprudence encadre strictement cette protection ; ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris l’a souligné, le 21 novembre dernier, à l’occasion d’un procès que mon confrère Daniel Soulez-Larivière a intenté à une jeune avocate ayant repris le titre L’Avocature.

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) consacre son article L. 112-4 aux titres d'œuvres. Il dispose que « le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même ». Les titres peuvent donc bénéficier de la protection classique accordée par le droit d'auteur, sous réserve d'être originaux. Il faut comprendre ici que le titre original est protégé, que l'œuvre à laquelle il est attaché soit elle-même protégée ou non. La protection des titres peut donc être totalement autonome de celle des œuvres qu’ils désignent.

Pour apprécier l'originalité d'un titre, le juge devra se placer à la date de création. En effet, un titre original à sa création peut, par la suite, perdre de son originalité en devenant une banalité. Il est donc nécessaire de se situer dans le contexte de création du titre, et de se demander si à cette date il était original.

L'originalité et la banalité

Cependant, l'appréciation de l'originalité d'un titre demeure une entreprise fort incertaine. L’examen de la jurisprudence laisse perplexes tous les spécialistes du droit d’auteur.
Celle-ci a jugé originaux des titres en apparence très banals. En revanche, l’originalité – et donc la protection par la propriété littéraire et artistique - a été déniée par le même Tribunal de grande instance de Paris, le 15 juin 1972, à Doucement les basses ou encore, le 27 mai 1982, à Tueurs de flics.

Un « garde-fou » juridique est heureusement prévu par le CPI.

Quand bien même un titre ne serait pas protégé par le droit d’auteur – que cette protection lui soit déniée pour manque d’originalité ou qu’il soit tombé dans le domaine public –, il ne reste pas sans défense. Il peut en effet bénéficier des règles de la concurrence déloyale. L'article L. 112-4 du CPI, pris en son second alinéa, lui accorde expressément cette protection : « Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3 (c'est-à-dire si l'œuvre est tombée dans le domaine public), utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ». Il s’agit là d’éviter les utilisations trompeuses de titres non protégés par le droit d’auteur. 

La confusion possible

La Cour d’appel de Paris est allée dans ce sens, le 18 février 2005, à propos des célèbres manuels de Laurence Pernoud. Une société avait décidé de lancer en kiosque une collection de « dossiers pratiques ». Or, parmi ceux-ci, figurait une publication intitulée J’élève mon enfant, contenant elle-même un ouvrage baptisé… J’attends mon enfant.
L’éditeur de Laurence Pernoud ne contestait pas l’absence d’originalité des titres, mais revendiquait un, à bon droit, un risque de confusion.

Les juges ont en effet estimé que les titres litigieux figuraient bien sur des livres et non sur de simples périodiques. Par ailleurs, la Cour fait litière des éventuelles différences de contenu, dans la mesure où le public visé est similaire à celui de l’éditeur de livres.

De même, pour que soit retenu le risque de confusion, la loi semble avoir formulé l'exigence que les deux œuvres appartiennent au même genre. Mais le terme « genre » est à entendre dans une acception large puisqu'un film et un livre peuvent appartenir au même genre, au regard de la jurisprudence pérenne, et ce malgré ce qui pourrait être conclu d’une lecture rapide de « l’arrêt Pernoud ». 

Le procès de référence demeure celui des Liaisons dangereuses, film de Roger Vadim tiré du célèbre ouvrage de Choderlos de Laclos. Le 6 décembre 1966, les juges de la Cour de cassation ont soutenu la SGDL qui s'inquiétait des risques de confusion aux yeux du public entre deux œuvres sans grand rapport entre elles. 

Parasitisme

Dans le cas de L’Avocature, il faut d’abord se souvenir que Daniel Soulez-Larivière avait utilisé ce terme pour signer un premier livre édité en 1982 aux Éditions Ramsay, qui avait ensuite été plusieurs fois réédité. 

Son adversaire, ma consoeur Aurore Boyard du Barreau de Toulon. a écrit plusieurs romans racontant les péripéties d’une jeune avocate, récemment inscrite au Barreau de Paris : L’Avocation, la vie des avocats enfin révélée (paru en 2014 aux Editions Fortuna), De l’avocation à l’avocature (édité en 2016 chez Fortuna) auquel s’est ajouté un troisième volume, en 2018, intitulé L’Avocatesse - L’avocation (publié par Enrick B. Editions, qui a repris les deux premiers volumes de cette trilogie). 

Daniel Soulez-Larivière a assigné pour contrefaçon, mais aussi pour acte de parasitisme et de concurrence déloyale. A l’appui de ses prétentions, Daniel Soulez-Larivière a notamment produit une expertise concernant l’usage du mot « Avocature » rédigée par Françoise… Lavocat, professeur de littérature comparée.

Dénomination usuelle

Las, aux yeux des juges, « la seule reprise en tant que titre d’un ouvrage d’un mot existant, même peu usité, exclut tout effort créatif » et dénient donc à Daniel Soulez-Larivière la protection du droit d’auteur.

Le Tribunal a examiné aussi longuement les ouvrages en cause (genre, visuels de couverture, ton utilisé, etc.) pour relever le fort contraste ne permettant pas de les confondre. 
Il en est de même du parasitisme « dès lors que durant la période séparant la dernière réédition de l’ouvrage du demandeur (1995) et la parution du roman en 2016, le terme « avocature » a été fréquemment utilisé dans les titres d’ouvrages, de collections et d’articles de revues. Il ne peut donc être retenu que la défenderesse ait cherché à se placer dans le sillage de l’ouvrage de l’avocat parisien, n’ayant fait que reprendre une dénomination usuelle pour désigner la profession d’avocat. »

En clair, Daniel Soulez-Larivière, dont le livre reste bien plus intéressant que les bluettes qu’il poursuivait, a donc été victime de son succès.
 

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