Dans Un amour ottoman (Le Cherche Midi, 2012), Jean-Luc Hennig évoque une correspondance secrète qu’il avait eue à 13 ans et dit comment ces lettres lui ont sans doute empêché de vivre l’amour : «L’amour, on ne sait jamais comment s’en débrouiller, puisqu’il n’a pas de mots. Ce sont les mots de l’amour, mais avant tout ce sont des mots. Et les mots parfois font rêver à l’amour.» L’amour des garçons, entre autres choses. Et pourtant, pour le désigner le vocabulaire manque. Ici, c’est sur ce lexique spécifique que l’agrégé de grammaire se penche. Quels mots en effet hormis cette nomenclature aux consonances scientifiques : «homosexualité» (terme inventé vers 1870 par la psychiatrie allemande) ? Dès le Moyen-Age il y eut, bien sûr, «sodomite», figure de l’infamie forgée par l’Eglise et envoyée par ses inquisiteurs au bûcher. Espadons, mignons & autres monstres est un glossaire passionnant grâce auquel on redécouvre un trésor de vocabulaire d’avant le réducteur «homosexuel» et le politiquement correct «gay». La France d’Ancien Régime, fille aînée de l’Eglise, dût-elle fustiger ces «abominations», a su les dénommer de manière riche et variée. La bardache, de l’italien bardassa emprunté à son tour à l’arabe bardag, «jeune esclave», désigne l’efféminé ; le mignon, le favori du roi ; l’ambidextre, le bisexuel. Certaines origines sont littéraires : «giton» vient du Satiricon de Pétrone, «le péché philosophique» se trouve sous la plume d’Agrippa d’Aubigné pour dénoncer les tendances «grecques» d’Henri III. Acteurs et pratiques (les chevaliers de la manchette, le fouet des jésuites) sont répertoriés plus avec le ton de l’essai que celui de la définition. L’auteur déconstruit l’histoire hétéro-normée en montrant comment l’idée de «contre nature» a été inculquée. Comment du bougre hérétique (les bogomiles bulgares ou «bougres» qui rejettent tout rapport charnel) on est passé au «bougre sodomite» (adepte de l’amour «à rebours»), toujours en vue de discriminer le hors-norme. S. J. R.