Fruit d'un travail encyclopédique impressionnant, mené par une équipe d'universitaires (en majorité corses) cornaquant quelques centaines de contributeurs, ce Dictionnaire inédit a pour ambition de recenser tous les lieux mythiques qui, depuis la plus haute Antiquité, ont façonné l'imaginaire des hommes. Organisé alphabétiquement, le corpus court d'« Abydos », ville réelle de l'Hellespont, devenue le théâtre d'une histoire d'amour (tragique, forcément) entre Héro, prêtresse d'Aphrodite, et le beau nageur Léandre, à « Yggdrasil », l'arbre du monde que les Germains septentrionaux et les Scandinaves vénéraient jadis. Pour qu'un lieu soit considéré comme mythique, il faut qu'il ait été transcendé, en particulier par les artistes, les écrivains.
On peut prendre comme exemple l'ensemble de Babel et sa tour, une ziggourat (rectangulaire et non ronde) située tout près de Babylone, la cité pécheresse. Construite par Caïn, elle incarne l'exact opposé repoussant, l'anti-Jérusalem céleste. Babylone la funeste, où vint s'éteindre Alexandre le Grand, "la Grande Catin" qui, transposée à l'époque moderne, peut désigner, selon les époques, Paris, Berlin ou New York, villes cosmopolites et repères de supposées débauches décadentes. Celles-là même que fulmine l'Ancien Testament. Tout s'emboîte, tout fait sens, et le mythe chemine à travers l'histoire, jusqu'à prendre des formes inattendues.
On relève encore, flânant dans ce gros volume d'une infinie richesse, les études sur l'Académie française, objet, dès sa création, de toutes les convoitises et de nombre de cabales, sur les bibliothèques disparues, ou encore sur le Combray de Marcel Proust. Grand mythificateur, Proust possédait, pour les noms de lieux, l'oreille absolue, et l'onomastique joue un rôle majeur pour la postérité d'un lieu. Parmi les écrivains, on suivra encore Victor Hugo, accompagnant son héros Jean Valjean à Montfermeil, René Char, inspiré par la grotte de Lascaux, ou bien Claude Roy, qui inventa, à propos des "cycles" indochinois et indien, univers mythiques s'il en est fantasmés par Marguerite Duras, le joli mot "durasie ».
Aucune notice érudite, en revanche, sauf erreur ou omission, sur la gare de Perpignan, dont Salvador Dalí fit pourtant le lieu mythique absolu, l'ombilic du monde.