Un jour, Flora, la narratrice principale de Georgina Tacou, fait rire son psy en lui confiant : « Je veux me tuer. » Il ne croit pas qu'elle passera à l'acte, et pourtant elle aurait quelques raisons. Sa sœur Nina est morte d'une overdose. Sa mère, après un AVC, s'est suicidée aux médicaments. Son père est mort d'un cancer. Et puis, afin de se remonter le moral, elle lit jusqu'à satiété Mars, le chef-d'œuvre posthume de Fritz Zorn (1944-1976), paru en 1979, l'un des livres les plus morbides qui soient, tout comme la destinée de son auteur, avec quoi il se confond : devenu professeur en 1969, le Suisse Zorn (« Colère »), qui s'appelait en réalité Angst (« Peur ») et avait choisi son pseudonyme comme une marque de révolte contre sa très bourgeoise famille qui l'a toujours étouffé sans l'aimer, vivait seul, dépressif, et n'a jamais eu aucune libido. Il est mort d'un cancer, ou bien s'est-il suicidé ?
Flora, elle, qui « aime les hommes », est séparée de Johan, mais ils sont restés les meilleurs amis du monde. Leur fils Vladimir, quinze ans, a l'air d'être un adolescent épanoui et mature. Plus que sa mère, qu'il décrit, à un moment, comme « végétaliste » et « excentrique ». La preuve : un jour, on la voit courir comme une folle en kimono, échevelée, jusqu'au collège du garçon, où l'on pensait que s'était produit un attentat, une prise d'otage dont il serait l'auteur. Fake news. L'incendie était accidentel et Vladimir avait au contraire essayé de protéger une camarade. Mais Flora a pété les plombs, et son psy décide de la faire interner quelques semaines au Refuge.
Non point un enfer, mais presque un paradis. Un grand jardin où les pensionnaires, les égarés, des cabossés de la vie, sont laissés libres, et se racontent volontiers leur histoire. Il y a là Alexia, Vasco, Judith, François, Karim, sa « bande ». Chacun va prendre la parole. Et le récit tend à s'atomiser, à se diluer. C'est Vladimir qui, à la fin, reprend les choses en main, se fait l'« explorateur » de sa bien curieuse famille, laquelle, au final, se reconstituera à sa façon, après que Flora aura quitté le Refuge. Et Zorn, on l'espère.
Tout ça est agencé, tissé avec subtilité par Georgina Tacou, dans un style poétique et nerveux qui donne un livre assez inclassable, peut-être à clefs, peut-être à cadenas.
Evangile des égarés
L’Arpenteur
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 euros ; 198 p.
ISBN: 9782072870002