De temps en temps, une voix nouvelle, différente s'élève. Dans le tohu-bohu qu'est nécessairement une rentrée littéraire, il faut tendre l'oreille, pour l'entendre déjà et, mieux, l'écouter. Ça arrive, ce n'est pas si fréquent. C'est certainement le cas d'Adios cow-boy, premier roman de la poétesse croate Olja Savi?evi? dont la force narrative, le lyrisme sourd et l'émotion qui s'en dégage font plus que convaincre, enchantent même, et feront à coup sûr de ce livre l'une des vraies belles découvertes de cet automne.
Il était une fois Dada, donc. Qui est-elle ? C'est une question que cette jeune femme d'une vingtaine d'années a appris à ne pas se poser, rien dans sa vie n'ayant suffi à dissiper le brouillard qui pourrait entourer une juste réponse. Elle quitte Zagreb pour rejoindre sa petite ville natale, Staro Naselje, où elle a en quelque sorte rendez-vous. Là-bas, des gens l'espèrent, des vivants et des morts. Là-bas, des secrets l'attendent. Parmi ceux-ci et ceux-là, il y a d'abord Danijel, son frère, qui, à 15 ans, s'est jeté sous un train ou peut-être l'a été. Ce gosse fou de westerns, assez régulièrement maltraité par une bande de mauvais garçons du coin, avait pour seul compagnon régulier un célibataire endurci, vétérinaire de son état. Dada voudrait le revoir et lui parler d'une clé USB dont elle a hérité elle ne sait comment... Il y a aussi sa mère que ce deuil a précipitée dans une dépression irrémédiable, sa sœur plus âgée et moins intéressée par les fantômes du passé et finalement une bonne partie de la ville où le retour de « la Rouillée » (un surnom hérité du temps où cette petite fille rousse courait champs et rues en quête de liberté) ne passe pas inaperçu. Notamment aux yeux d'Angelo, beau garçon, joueur d'harmonica et gigolo à ses nombreuses heures perdues. Et alors que Ned Montgomery, vieux cow-boy d'Hollywood en bout de course, s'apprête à tourner un western (probablement un film Z, mais peu importe) dans son pays d'origine, les événements vont quelque peu se précipiter.
Olja Savi?evi? est certainement trop profondément poétesse pour ignorer qu'un roman, un vrai, est une nécessaire remontée du fleuve, un récit qui aurait trouvé son atmosphère. Celle d'Adios cow-boy, ni déconstruite ni trop platement narrative, est incomparable. L'errance de son héroïne n'est faite que d'éclats de beauté cachés dans la boue du monde. Il y a là quelque chose qui flirte avec le néoréalisme italien (comme chez le romancier contemporain Davide Enia, par exemple) et le réalisme magique latino. Quelque chose de profondément étrange et étranger à lui-même en même temps, comme peut l'être la Rouillée dans son indolente indifférence. À la fin, le lecteur aura croisé deux fantômes, celui d'un enfant perdu à jamais d'abord et celui d'une guerre civile proche dont au fond personne n'a vraiment échappé. Ces absences, ce chagrin n'appellent à rien d'autre qu'à la littérature.