Si Thomas Cook (1808-1892) débarquait aujourd'hui dans un aéroport, Heathrow par exemple, peut-être serait-il un peu surpris de voir ce qu'est devenue son invention, le tourisme, mais aussi fier de lui, en dépit de sa modestie. Non seulement il a créé le voyage, au sens moderne du terme, mais il l'a voulu, dès ses tout débuts, en 1841, aussi démocratique que possible.
A la base, l'homme était un baptiste, né dans une famille misérable, un autodidacte qui avait dû faire tous les métiers, notamment imprimeur, avant de trouver sa voie. Pieux, pacifiste, militant antialcoolique, et philanthrope : contrairement à son fils John, son successeur, un vrai businessman à l'anglo-saxonne avec qui les rapports furent souvent tendus, la motivation de Thomas Cook n'a jamais été de s'enrichir, mais de faire découvrir le vaste monde, dans les meilleures conditions, au plus juste prix, bien sûr à des VIP (des princes, des maharadjahs, la reine Victoria, même, qui le tenait en haute estime), mais surtout les masses, qu'il souhaitait « instruire » grâce au voyage, et détourner de certains penchants funestes : l'addiction au gin et à la bière, par exemple.
Mal connu de ce côté-ci du Channel (« Les Français ne sont pas un peuple voyageur », disait-il), Thomas Cook eut une destinée exceptionnelle, une réussite fabuleuse, et une célébrité mondiale. De plus en plus audacieux, de plus en plus lointains, les périples organisés par sa compagnie, implantée partout, font encore rêver aujourd'hui. Au terme de bien des vicissitudes et des avatars, Thomas Cook AG existe toujours, mais elle est allemande ! En 1891, cinquante ans après un premier modeste tour d'une demi-journée en train, pour des prolos des Midlands, ses compatriotes, l'Angleterre mettait sous tutelle l'Egypte, où l'agence et ses employés œuvraient depuis 1868, et l'on pouvait dire : « Cook possède l'Egypte. »
Fini, le « grand tour » à la manière du XVIIIe siècle, quand l'élite européenne, surtout des Allemands et des Anglais, entreprenait des voyages d'agrément, dans des conditions à la fois rudimentaires et luxueuses, pour son simple divertissement. Et en rapporter, parfois, un récit, quelques tableaux ou poèmes. Pour Cook, chaque homme devait pouvoir voyager, ne serait-ce qu'aux expositions universelles, de Londres ou de Paris, afin de voir le monde en miniature. Il pensait aussi que des peuples qui se connaissent ne se font plus la guerre. Symbole de l'Angleterre impériale, entreprenante, triomphante voire arrogante, Cook peut être admiré comme un visionnaire. Mais, démiurge dépassé par sa créature, il est aussi le responsable du tourisme de masse actuel et de ses ravages. Les auteurs auraient pu ajouter ce bémol à leur biographie, par ailleurs impeccable et très vivante.
Thomas Cook, l’inventeur des voyages
Robert Laffont
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 20.50 euros ; 270 p.
ISBN: 9782221195598