Grands prix d'automne 2024

Le prix Femina 2024 pour Miguel Bonnefoy

Paul Audi et Alia Trabucco Zerán (debout), Colm Tóibín et Miguel Bonnefoy (assis) réunis par le prix Femina 2024 - Photo Olivier Dion

Le prix Femina 2024 pour Miguel Bonnefoy

Déjà couronné du Grand prix du roman de l'Académie française, le romancier de 37 ans reçoit le prix Femina 2024 pour Le rêve du jaguar paru chez Rivages. Paul Audi et Alia Trabucco Zerán remportent respectivement les prix Femina 2024 de l'Essai et celui du Roman étranger. Enfin, l'Irlandais Colm Tóibín a été récompensé d'un prix spécial.

Par Charles Knappek
Créé le 05.11.2024 à 13h32

Miguel Bonnefoy, auteur franco-vénézuelien de 37 ans, a remporté ce mardi le prix Femina 2024, au jury exclusivement féminin, pour son 4e roman, Le rêve du Jaguar (Rivages). Déjà la semaine dernière, le roman avait été couronné du Grand prix du Roman de l'Académie française, permettant à son auteur de réaliser un doublé qui reste rare parmi les grands prix d'automne.

En 2018, Philippe Lançon avait par exemple obtenu le Femina pour Le lambeau (Gallimard) et une mention au prix Renaudot. L'an passé Kevin Lambert avait cumulé les prix Décembre et Médicis pour Que notre joie demeure (Le Nouvel Attila).

Depuis sa parution le 21 août dernier, Le rêve du Jaguar s'est écoulé à près de 22 000 exemplaires, selon GFK. Miguel Bonnefoy est l'auteur d'une dizaine d'oeuvres depuis 2012.

Un voyage sensoriel

Dans ce roman de 304 pages imprimés à 25 000 exemplaires avant la mise en place, Miguel Bonnefoy retrace le destin de trois générations prises dans la tourmente du XXe siècle de part et d'autre de l'océan Atlantique, dans un style flamboyant et romanesque en diable. Dans son avant-critique parue dans Livres Hebdo, Laëtitia Favro a écrit : Dans une rue de Maracaibo, une fillette joue avec un camion en bois. Elle l'a d'abord fait rouler dans les couloirs de sa maison, puis sur les trottoirs et la place principale de la ville où sa mère l'arrête, « car elle semblait capable de continuer son chemin jusqu'à la frontière brésilienne ». Ce jour-là, Ana Maria comprend que sa fille « irait loin dans la vie, mais aussi dans le monde ». Née le 23 janvier 1958, jour de la chute du dictateur Marcos Pérez Jiménez, elle porte le nom de son pays : Venezuela. Un nom qui la reliera à ses racines quand, après avoir rêvé d'ailleurs et promené ses doigts sur les atlas familiaux, elle quittera Maracaibo pour Paris, où son fils Cristobal verra le jour.

Né d'une mère vénézuélienne et d'un père français, Miguel Bonnefoy fait voyager son lecteur entre les deux continents qui le constituent, au fil d'étourdissantes sagas familiales aux allures de contes immémoriaux, empreintes des impressions de son enfance entre Europe et Amérique latine. Dans Sucre noir (Rivages, 2017), une famille des Caraïbes voyait son existence bouleversée par la légende d'un trésor disparu. Héritage (Rivages, 2020) retraçait quant à lui la trajectoire de déracinés, des coteaux du Jura à Santiago du Chili. Dans Le rêve du jaguar, trois générations se réalisent dans une voie à laquelle leur naissance ne les prédestinait pas. Orphelin, le père de Venezuela est abandonné sur les marches d'une église, dans une rue qui bientôt porterait le nom d'un éminent médecin. Le nom d'Antonio Borjas Romero. Le sien.

Face au « minotaure terrifiant » de la dictature

Recueilli par une mendiante qui, inquiète à l'idée de le voir finir comme un voyou, l'exhorte à travailler plutôt qu'à voler, Antonio se propose comme homme à tout faire dans un bordel où débarque chaque jour une nuée de marins. Un soir, l'un de ces hommes tire de son gilet une machine à rouler des cigarettes, semblable à celle retrouvée dans les langes d'Antonio bébé. Le marin reviendra quelques semaines plus tard, « des colliers africains autour du cou » et une lettre qui allait changer la vie d'Antonio. Sans elle, Antonio n'aurait jamais fréquenté le collège ni rencontré Ana Maria. « Je ne me marierai qu'avec l'homme qui me racontera la plus belle histoire d'amour », le prévient-elle. Antonio, qui ne connaît rien à l'amour, s'installe alors dans le hall d'une gare routière, un panneau « J'écoute des histoires d'amour » devant lui. Il en collectera tant qu'il en viendra à se demander « s'il existait une seule histoire dans le monde qui ne fut pas d'amour ».

Confrontés au « minotaure terrifiant » de la dictature, engagés contre le régime de Marcos Pérez Jiménez, Antonio et Ana Maria deviendront de grands médecins et donneront naissance à une femme libre dont l'histoire s'écrira loin des siens. « Tu ne partiras que lorsque tu te libéreras du poids de l'or » prédit une voyante à Venezuela. Comme fondue dans le précieux métal, l'écriture de Miguel Bonnefoy invite son lecteur à un voyage sensoriel où légendes et mythologies familiales se mêlent aux révolutions du XXe siècle. Son roman est celui d'un orfèvre épris de romanesque pur, donnant matière à rêver.

L'an dernier, le prix Femina avait couronné Neige Sinno, pour Triste tigre, paru chez Grasset.

 

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