16 août > Roman France > Yasmine Ghata

De livre en livre, depuis La nuit des calligraphes (Fayard, 2004), Yasmine Ghata poursuit son œuvre singulière, où se mêlent, comme dans sa propre vie, l’Orient et l’Occident. Ici, c’est une femme, Suzanne, visitant une exposition d’art "turc" à la Royal Academy de Londres, qui découvre le peintre de la fin du XVe siècle Mohammed Siyah Qalam ("Calame noir"), dont l’œuvre, en rupture totale avec ce qui se faisait dans les cours, surchargé, montrant la richesse des puissants, lui apparaît comme une ascèse mystique, un appel vers la liberté des steppes, non sans une pointe inquiétante. Alors, se produit un étrange phénomène. Suzanne, victime d’une hallucination auditive, entend la voix d’Aygül, la fille de l’artiste, sa disciple et le soutien de sa vie, lui raconter leur histoire. Suzanne, s’identifiant à la jeune fille d’autant plus aisément qu’elle a perdu son propre père récemment, se met à écrire, à la première personne, le récit qu’elle lui dicte. Au cours duquel elle interviendra parfois, jusqu’à ce qu’à la fin, sa tâche accomplie, elle puisse faire son deuil. Siyah Qalam était un Ouïghour musulman, issu de tribus semi-nomades, qui se considérait comme un "élu", adepte de Mâni, prophète, poète et illustrateur qui vécut au IIIe siècle, fondateur du "manichéisme", dans son acception première. Veuf, sa fille Aygül et lui avaient été distingués par Ya’qub, jeune roi sunnite de la tribu des Moutons blancs, devenu son protecteur, et invité dans sa capitale, Tabriz. Là, à l’abri de son atelier, le peintre a pu développer durant des années son œuvre, en marge de celle de ses confrères "officiels". Son hôte lui permettait même, chaque printemps, de regagner sa steppe natale, rejoindre son peuple, notamment Ubayt, son disciple, qu’Aygül ne laisse pas indifférent. Mais Ya’qub meurt, à l’âge de 29 ans (empoisonné?), et le sort de Siyah Qalam va basculer dans la tragédie. En disgrâce, traqué, puis menacé parce que soupçonné d’hérésie, il ne devra sa survie qu’à sa fille, son "ombre", admirable de dévouement. Mais le destin finira par les rattraper. En 1514, Tabriz prise et pillée par les Ottomans de Sélim Ier, nombre de chefs-d’œuvre sont rapportés au palais de Topkapi, à Istanbul, devenu aujourd’hui l’un des plus beaux musées du monde. On peut y voir des œuvres du Calame noir.

Yasmine Ghata raconte cette aventure où se mêlent poésie, mystique et fantastique, avec une grâce tout orientale, sans effets superflus. On sent qu’elle partage, avec ses héroïnes, tant de choses. J.-C. P.

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