Contrats

Suite de la première partie
      
 
La validation par Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt en date du  22 janvier 2019, d’une cession de droits en contrepartie de quelques bouteilles de cidre, nous donne l’occasion de revenir sur les principes de la rémunération des auteurs.

Venons-en à la gratuité, qu’internet a tant remis au goût du jour. Les logiciels que chacun peut utiliser sans verser de droits en sont le plus bel exemple. La cession à titre gratuit est aussi une vieille habitude éditoriale. Mais les auteurs ne peuvent renoncer à leurs droits patrimoniaux que sous de draconiennes conditions juridiques.

L’édition est toujours friande d’auteurs qui abandonnent toute prétention à rémunération. Ce sont parfois des ouvrages réputés très difficiles qui voient ainsi le jour. Dans d’autres cas, une « bonne cause » est mise en avant. Parfois encore, aucun versement de droits ne compense des contributions modestes ou des apports de documents.

L’article L. 122-7 du CPI précise bien que « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux ». Mais l’article L. 131-4 du même CPI dispose que « la cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre (…) doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation ».

Bref, forts de ces imprécisions légales, les juristes n’admettent les cessions gratuites qu’au prix de grandes précautions juridiques…

Notaire

Les plus intransigeants estiment que seule l’intervention d’un notaire peut valider un acte de gratuité. Le 20 janvier 1987, la Cour d’appel de Versailles a, par exemple, considéré que la renonciation à un droit d’auteur au profit d’une société s’analyse juridiquement en une donation. Or, cet « acte sous seing privé constitue une libéralité pure et simple, nulle faute de forme authentique ».

En général, le droit n’apprécie guère les engagements qui n’entraînent pas de contrepartie. En clair, la cession peut être gracieuse, si les raisons de cette gratuité sont expressément indiquées sur le contrat. L’éditeur précisera donc que l’auteur cède ses droits dans le but d’aider une cause humanitaire, de promouvoir l’image d’une discipline, etc.

C’est ainsi que le statut du contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle a été soumis aux magistrats. La pratique a en effet rendu quasi systématique la conclusion de cet accord avec l’écrivain, sans qu’une contrepartie financière immédiate y soit attachée. Le 12 septembre 1990, la cour d’appel de Paris a estimé que la cause – au sens juridique du terme – de la signature par l’auteur réside dans la publicité procurée par l’édition du livre.

Les cessions à titre gratuit n’échappent pas aux règles de la propriété littéraire et artistique sur la nécessité de tout détailler.

Picasso et Kenzo

Le 23 janvier 2001, la Cour de cassation a invalidé une cession de droits d’auteur consentie par Picasso aux éditions du Cercle d’art. L’artiste avait en effet rédigé un document précisant : « Je soussigné, Pablo Picasso (…), déclare léguer mes droits aux éditions du Cercle d’art (…) pour la reproduction des dessins de l’ouvrage Toros. » La Haute Juridiction a souligné « la nullité de l’acte litigieux qualifié de cession de droits d’auteur, sur le fondement des dispositions impératives de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle (…) qui ne stipulait aucune clause quant à la durée et à l’étendue des droits cédés ».

Le 29 avril 1998, la cour d’appel de Paris en a jugé de même à propos du créateur Kenzo, qui avait publiquement annoncé qu’il « offrait aux Parisiens sa création ». La cour a invalidé une telle « déclaration signée », soulevée en défense par une société.

En revanche, la même cour a remis en cause, le 18 novembre 2005, un accord aux termes duquel un photographe avait cédé des droits en contrepartie de la jouissance d’un voilier.

Le « 0 % » de droits est aussi régulièrement pratiqué que condamné. Car si la loi et la jurisprudence admettent la possibilité de céder une œuvre à titre gratuit, elles encadrent cette dérogation au principe de la rémunération des auteurs de grandes précautions. Le taux de 0 % est bel et bien prohibé puisqu’il déguise souvent une édition à compte d’auteur qui ne dit pas son nom.

Frais et corrections

Reste à mentionner le cas des « frais ». Il est parfois stipulé que « l’éditeur remboursera à l’auteur, contre remise des justificatifs correspondants, les frais qu’il aura été amené à engager pour écrire l’œuvre ». Il peut ainsi être prévu que ces dépenses correspondent à de la documentation ou, par exemple, au coût des photocopies commandées à la Bibliothèque nationale (pour des ouvrages sur lesquels le CFC ne collecte rien…). Il est alors vivement préférable de fixer un plafond contractuel à ce montant.

Pour un guide gastronomique ou de voyage, la clause relative au remboursement des frais nécessite une attention particulière: par exemple, on indiquera par écrit qui en fait l’avance ou dans quel délai ils seront remboursés. À défaut, l’écrivain-voyageur apprendra vite que l’écriture est une activité très déficitaire ou l’éditeur que sa maison dépense plus en nourritures terrestres qu’intellectuelles.

Bien évidemment, l’administration fiscale est susceptible de remettre en cause la qualification de « frais », si les sommes versées par l’éditeur à l’auteur prennent des allures de rémunération déguisée.

Mais les frais qui sont mentionnés au contrat de l’auteur ne sont pas obligatoirement promesses de nuits d’ivresse et de tourisme sur le compte des maisons d’édition. En matière de livres illustrés, il arrive que l’éditeur puisse valablement imputer sur les droits de son auteur ceux qui seront versés aux détenteurs de l’iconographie (« images d’époque » en provenance d’agences, œuvres d’art gérées par des musées, cartes géographiques en direct de l’Institut géographique national, etc.).

De même, il est souvent disposé que, « dans le cas où les corrections sur épreuves dépasseraient dix pour cent des frais de composition, le surplus serait à la charge de l’auteur et son montant serait déduit des droits dus à l’auteur ». Cette clause est non seulement d’usage, mais légale.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a même considéré, le 24 avril 1984, que l’auteur est responsable des frais de correction et d’actualisation effectuées sans son concours.

Toutefois, depuis de nombreuses années, la jurisprudence interdit fermement de retirer de l’assiette de la rémunération de l’auteur certains supposés frais que supporterait l’éditeur. Il en est ainsi de la « passe », forme ancienne de pneumopathie encore signalée dans certaines artères de Saint-Germain-des-Prés.

Quant aux honoraires de l’avocat chargé de relire un manuscrit explosif, ils sont à la charge de l’éditeur. Cependant, l’auteur peut être tenu de régler les frais de justice (amendes, dommages-intérêts et autres factures d’avocat) engagés pour défendre le livre d’une accusation de plagiat, d’atteinte à la vie privée, ou encore de diffamation.
 
 
 
 
 
 

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