4 janvier > Roman France > Christine Montalbetti

C’est une histoire qui travaille Christine Montalbetti depuis longtemps. Mais, explique-t-elle dans Trouville casino, le projet d’écrire sur ce fait divers de 2011 où un homme de 75 ans s’est métamorphosé du jour au lendemain en braqueur solitaire, a été repoussé au profit d’un autre livre, le très réussi La vie est faite de ces toutes petites choses, inspiré du dernier vol de la navette américaine Atlantis et paru en 2016.

Trouville casino raconte l’aventure tragiquement rocambolesque d’un homme sans nom et qui restera sans visage, malgré les recherches intensives de l’écrivaine-enquêtrice. Christine Montalbetti y retrace l’itinéraire d’un retraité prétendument "sans histoires" qu’elle tutoie avec une familiarité empathique. Minutieuse comme elle sait l’être, elle se livre à ce qui peut ressembler à une reconstitution détaillée du mode opératoire du "malfaiteur", comme le désigneront gendarmes et journalistes, et de sa courte cavale sur les routes de la campagne normande. Elle part ainsi en reconnaissance sur les lieux, entre le casino de la station balnéaire et Gacé, la petite ville de l’Orne où ce joueur occasionnel, inconnu des services de police, vivait depuis quelques années, dans la maison de sa compagne.

Mais si les rebondissements ne manquent pas dans ce casse à main armée peu ordinaire, Christine Montalbetti instille surtout le romanesque dans toutes les anfractuosités du réel. Entre le déroulé chronologique, presque minute par minute, de cet après-midi du 25 août 2011, elle intercale en montage parallèle des "séquences imaginées" où elle part sur les traces du papy braqueur. Elle lui écrit un passé, une vie d’avant, parfois même un futur alternatif : "les jours mouillés dans la maison", "les heures trop lentes de Gacé", la rencontre avec sa compagne dans une guinguette "un soir de juin 1996" sur les bords de Seine… D’arrêts sur image en zooms, la romancière se plaît à "digresser, le gros mot pour dire musarder, pour dire rêver", l’une de ses activités préférées, et interrompt régulièrement le récit pour jouer avec le lecteur, une autre de ses facéties favorites.

Elle interroge moins les mobiles mystérieux d’un passage à l’acte individuel que les résonances communes, "tout ce que ça vient fouiller en nous de semblable", "tout ce qui a pu te traverser et qui nous habite aussi, les petites insatisfactions, les grands regrets, le cocon du couple et la tendresse, mais l’incertitude aussi, et la colère parfois, et quoi encore que nous brassons tous, en des proportions changeantes". Un "genre de" mélancolie, selon une formule qui lui est chère, s’insinue dans ce roman, "fragile conservatoire" de ce qui n’est plus, de "tout ce qui ne revient jamais", et dont le décor est témoin, d’une fresque recouverte par de la peinture à des bâtiments désertés ou démolis. Et c’est comme si la pluie de la Normandie nous mouillait tous. V. R.

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