Bernard Quiriny, dans un essai (Monsieur Spleen, Seuil, 2013), avait déjà ressorti Henri de Régnier (1864-1936) du purgatoire auquel il avait été condamné par les jeunes générations, les surréalistes et Breton notamment, dont il était l’une des bêtes noires. Trop classique, trop conventionnel, trop académique, trop timoré aussi, notamment lors de l’affaire Dreyfus. Quoique légèrement plus âgé que Gide, Louÿs, Valéry ou Proust, qu’il connut ou dont il fut l’ami (pour les trois premiers, jusqu’à ce qu’ils se brouillent et rompent), Régnier est passé à côté de la modernité littéraire et artistique du tournant du siècle. De là à en faire une vieille baderne portant monocle et se complaisant dans des vers à l’ancienne, il n’y a qu’un pas. Et ce n’est pas tout à fait juste, ainsi que le démontre Patrick Besnier.
Mais si le travail du biographe apparaît fort sérieux, la passion pour son sujet lui fait parfois perdre son flegme universitaire. Par exemple à propos des rapports compliqués de Régnier avec Gide. Amis dès 1891, dans le cercle de Mallarmé, les deux écrivains s’apprécièrent, se fréquentèrent, voyagèrent ensemble en Bretagne. Puis, il y eut rupture pour des raisons diverses et complexes : rancœur à cause d’articles trop "tièdes" sur ses livres, jalousie de l’aîné face à un cadet bien plus brillant, réprobation surtout, semble-t-il, de ses mœurs et de leur aveu… Au moment de partir pour le Congo, en 1925, Gide met en vente aux enchères sa bibliothèque, dont, de manière réfléchie et expliquée, tous ses exemplaires de Régnier (et de Louÿs), "anciens amis" qu’il accuse de l’avoir "renié" publiquement. Est-ce là de la "muflerie systématique et appliquée" ? J.-C. P.