Philippe Rey, directeur éditorial des éditions Philippe Rey

« Le monde de la librairie, à présent rassuré, fait confiance à cette littérature si riche »

Philippe Rey - Photo Olivier Dion

« Le monde de la librairie, à présent rassuré, fait confiance à cette littérature si riche »

En coéditant avec la maison sénégalaise Jimsaan La plus secrète mémoire des hommes, le prix Goncourt de Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey a mis en lumière un type de partenariat gagnant.

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Par Propos recueillis par Elisabeth Segard
Créé le 01.10.2024 à 17h40

En coéditant avec la maison sénégalaise Jimsaan La plus secrète mémoire des hommes, le prix Goncourt de Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey a mis en lumière un type de partenariat gagnant.

Votre maison publie de nombreux auteurs francophones depuis sa création en 2002. 

Dès la fondation de la maison, sa vocation d'ouverture aux littératures étrangères s'est imposée. À côté d'auteurs de littérature traduite comme Joyce Carol Oates, Peter Ackroyd, Kerry Hudson ou encore Joyce Maynard, nous nous sommes intéressés à la littérature en langue française issue de l'étranger, de l'Afrique, des Antilles, du Québec... Est-ce parce que je suis moi-même né à l'île Maurice ? J'ai été façonné par une société créole fondée sur les permanentes influences réciproques au quotidien entre groupes linguistiques, culturels ou religieux. Je suis passionné par les points de rencontre, de fécondation comme de friction, par ce qu'Édouard Glissant qualifiait de « métissage produisant de l'inattendu ». Nous assistons à ce processus de créolisation depuis plusieurs dizaines d'années en France métropolitaine. Les citoyens issus de l'immigration représentent une richesse inestimable, pour la société comme pour la littérature. 

Les libraires de l'hexagone sont-ils plus frileux face aux auteurs étrangers francophones que face aux auteurs français ? Avez-vous constaté une évolution depuis vingt ans ?

Pendant longtemps, les libraires étaient effectivement prudents, car ils constataient que les lecteurs français manquaient de la curiosité nécessaire pour découvrir de nouveaux mondes qui les intimidaient peut-être... J'ai constaté les mêmes préventions chez les journalistes par le passé. Puis l'émergence d'écrivains comme Tierno Monénembo, Alain Mabanckou et Dany Laferrière, ou l'attribution du Goncourt à Mohamed Mbougar Sarr, ont changé la donne. Le monde de la librairie, à présent rassuré, fait confiance à cette littérature si riche, aux confins de plusieurs aires linguistiques.

Les succès en France des romans de Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, ou d'Éric Chacour (104 000 ex. GFK pour Ce que je sais de toi) ont-il eu un impact sur les ventes dans l'espace francophone ? 

Dans le cas d'Éric Chacour, nous ne détenons pas les droits d'exploitation au Québec, où il vit, mais le livre s'est très bien vendu dans les autres pays francophones. Pour Mohamed Mbougar Sarr, l'immense succès français s'est reproduit ailleurs, sans pour autant augmenter la part relative de l'export. En fait, la courbe des ventes à l'étranger reproduit peu ou prou celle des ventes en France. L'export représente une faible part de notre chiffre d'affaires, environ 5 %. Cela est dû à la cherté de nos livres sur de vastes marchés comme l'Afrique ou le Québec, où les frais de transport, voire les taxes, peuvent pénaliser les livres.

Quels freins identifiez-vous au développement du livre dans l'espace francophone ? 

Le principal frein reste culturel : il est difficile pour la majorité des livres de littérature française de toucher à l'universel, ce qui restreint leur portée. Mais il demeure aussi des freins plus matériels, comme les droits de douane, le coût du transport, surtout aérien, la difficulté de circulation entre les pays (en Afrique, par exemple, où les éditeurs exportent très peu vers les pays voisins), les prix de vente exorbitants (les livres français sont beaucoup trop chers dans l'essentiel de l'espace francophone)... Le transport peut représenter 10 % du prix public d'un livre, et les taxes, qui dépendent des pays, peuvent parfois dépasser 100 %... Pour cette raison, le ministère de la Culture accorde des subventions aux frais de transport, par le biais de la Centrale de l'édition, qui peuvent représenter 50 % de ces coûts. Ces subventions concernent surtout les livres scolaires et devraient, je l'espère, s'étendre à la littérature.

La cession de droits des éditeurs français à des éditeurs francophones vous semble-t-elle une piste prometteuse ?

Oui, assurément. J'ai toujours pensé que les éditeurs locaux savent mieux travailler leurs marchés et qu'ils assurent la promotion et la diffusion des ouvrages de manière bien plus efficace. Une piste à développer est ce que fait (à trop petite échelle malheureusement) l'Alliance internationale des éditeurs indépendants, en centralisant la négociation des droits et les tirages d'un titre pour le compte d'une dizaine d'éditeurs de l'espace francophone. Avec l'AIEI, nous avons monté des opérations très réussies autour d'ouvrages de Boubacar Boris Diop ou de Lilian Thuram. Devant l'éclatement des marchés, il est important de s'unir et de travailler main dans la main.

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