Découverte d'une souche virale inconnue, taux de propagation important, saturation des services hospitaliers, fermeture des écoles, confinement... : déjà en 2015, Pandémia, de Franck Thilliez décrivait de manière troublante la crise que nous venons de traverser. Comme lui, plusieurs romanciers ont eu un sacré flair et livrent dès la rentrée littéraire 2020 des textes marqués par les épidémies.
Dans Des jours sauvages, Xabi Molia (Seuil) imagine un monde en proie à une foudroyante grippe et où les survivants se réorganisent sur une île déserte. Chez Alma, Camille Brunel décrit Les Métamorphoses de la population en animaux quand une pandémie se répand à travers le monde. Sébastien Spitzer raconte la progression de La fièvre (Albin Michel) qui ravagea Memphis en 1878. Laurine Roux se penche sur une famille confinée en pleine montagne dans Le sanctuaire (Editions du sonneur). Thomas Sands dessine, avec L'un des tiens (Les Arènes, « Equinox »), une France post-apocalyptique que ses deux héros traversent, croisant un peuple rongé par les épidémies. Antoine Choplin raconte la quête d'humains quittant le camp où ils viennent de passer plusieurs années pour rallier les plaines du Nord-Est (La fosse aux ours) et l'espoir d'une vie nouvelle.
Sombres futurs
D'autres futurs se déclinent sous la plume d'écrivains qui sondent les angoisses de notre époque. Après l'accablement climatique, le monde vacille dans la dystopie de Christophe Carpentier, Cela aussi sera réinventé (Au Diable Vauvert). La dégradation du climat est au cœur de 2030, de Philippe Djian (Flammarion) dont le héros tombe sur un reportage vieux de dix ans racontant le combat, en 2019, de la jeune femme aux nattes. Toujours en 2030, sous la plume d'Ilan Duran Cohen (Actes Sud), un Petit polémiste télévisuel lance un commentaire sexiste qui va le précipiter dans un monde kafkaïen. Un homme s'évertue à rester invisible alors que les habitants d'une ville ont accepté de voir leur vie filmée et montée pour la télévision dans L'empire et l'absence, de Léo Strintz (Inculte). Chez Robert Laffont, sous la plume de Michèle Cotta et Robert Namias, Le brun et le rouge se mélangent quand la jeune présidente du parti d'extrême droite gagne les élections de 2025 et s'allie avec l'extrême gauche avant de s'arroger les pleins pouvoirs.
De retour à notre époque, la tension est à son comble : accélération des désordres mondiaux - toile de fond de L'île de Jacob, de Dorothée Janin (Fayard), un laboratoire des catastrophes planétaires où un père et un fils s'installent -, folie néolibérale dénoncée dans le magistral roman du procès France Télécom, Personne ne sort les fusils, de Sandra Lucbert (Seuil), ou encore attentats islamistes dans La grande épreuve, d'Etienne de Montety (Stock), inspiré de l'assassinat du père Hamel. Face aux injustices et aux inégalités, la révolte gronde. L'Est parisien s'embrase dans de violents affrontements, transformant la capitale en Arène chez Négar Djavadi (Liana Lévi) tandis que chez Aude Lancelin, La fièvre (Les liens qui libèrent) s'empare de la France avec la déferlante des Gilets Jaunes.
Héros engagés
Le mouvement social est aussi au cœur de Péage sud, de Sébastien Navarro (Le chien rouge), où un intellectuel d'extrême gauche découvre une foule assoiffée de justice sociale et subit la répression policière. Radical, de Tom Connan (Albin Michel) retrace la passion entre un jeune étudiant de gauche et un activiste d'extrême droite quand Grégoire Delacourt suit Pierre, vigile à mi-temps dans un supermarché après un licenciement, qui trouve un exutoire à sa rage avec les gilets jaunes dans Un jour viendra couleur d'orage (Grasset). De la France à l'ex-Yougoslavie, plusieurs jeunes confrontent leur soif d'absolu dans Demain la brume, de Thimothée Demeillers (Asphalte). La primo romancière Hella Feki entraîne ses lecteurs au cœur de la révolution tunisienne dans Les noces de jasmin (Lattès), et Rachid Benzine fait entendre la voix d'une prostituée qui met en lumière les combats et espérances des femmes durant le printemps arabe dans Dans les yeux du ciel (Seuil).
L'espoir d'un monde meilleur pousse certains héros à s'engager. Un pionnier de la pensée écologique prend la tête d'une Commission internationale sur le changement climatique dont il tente de faire une arme de reconstruction massive dans Le grand vertige, de Pierre Ducrozet (Actes Sud). Chris rejoint un groupe d'anonymes en lutte contre la propagande jihadiste sur les réseaux sociaux dans La grâce et les ténèbres, d'Ann Scott (Calmann Levy). Un assistant parlementaire et une hackeuse font face à un monde essoufflé dont ils tentent de redessiner les contours dans Comme un empire dans l'empire, d'Alice Zeniter (Flammarion). Cinq infirmiers d'un cabinet médical se relaient auprès de leurs patients pour casser solitude et isolement dans Les passantes, de Michèle Gazier (Mercure de France). Dans Des rêves à tenir, de Nicolas Deleau (Grasset), l'engagement se teinte d'utopie pour les habitués d'un bar qui trouvent l'occasion de concrétiser leurs rêves d'un monde meilleur.
L'utopie porte aussi la révolte poétique d'une bande d'éclopés de la vie dans Requiem pour une apache, de Gilles Marchand (Aux forges de Vulcain) et, dans Sept morts audacieux et un poète assis, de Saber Mnsouri (Elyzad), un vieil homme retrace la manière dont les habitants d'une région firent sécession pour regagner leur dignité. Chez François Hien, une équipe de tournage se renomme Les soucieux (Rocher) et s'éveille au militantisme pour défendre un groupe de Maliens sans papiers, alors que dans le grand-duché d'Eponne, paradis fiscal inventé par Diane Meur (Sous le ciel des hommes (Sabine Wespieser), un pamphlet anticapitaliste remonte vaillamment le courant de la domination.
De nouveaux possibles
D'autres héros tentent de réinventer leur vie ou de fuir. A 46 ans, Axel songe à plaquer femme, enfant et apéros avec les voisins pour retrouver ses espoirs de jeunesse dans Broadway, de Caro (Gallimard, « Sygne »), Anastasia, installée dans une vie satisfaisante, s'autorise à déployer ses rêves lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer dans Les déviantes, de Capucine Delattre (Belfond). Vincent décide d'en finir mais rencontre Stella Finzi sous la signature d'Alain Teulié (Robert Laffont), tandis que les trois personnages des Corps insurgés, de Boris Bergmann (Calmann-Lévy) se rebellent contre leurs destins. Elias tente d'échapper à un père tyrannique obsédé par les ondes grâce à l'amour d'Avril dans l'Autoportrait en chevreuil de Victor Pouchet (Finitude). Gabriel, héros de Mon nom était écrit sous l'eau, d'Olivier Bleys (Denoël), se rêve un avenir autre que celui de croque-mort. Le protagoniste de Medhi Charef dans Vivants (Hors d'atteinte) se bat pour échapper à son destin à l'usine quand le jeune Max, personnage principal de Les bleus étaient verts d'Alain Jaspard (Héloïse d'Ormesson), ne voulant pas finir à la mine comme son père, se retrouve engagé dans la guerre d'Algérie. Les destins brisés ou accomplis par l'exil irriguent plusieurs textes comme le roman choral Là d'où je viens a disparu, de Guillaume Poix (Verticales), Rachel et les siens, de Metin Arditi (Grasset) ou Alger, rue des bananiers, de Béatrice Commengé (Verdier).
Sous la plume de Véronique Olmi, trois femmes s'émancipent dans la France des années 70 et cherchent Les évasions particulières (Albin Michel) loin de la morale ou de la religion. Chez Camille Laurens (Gallimard), Laurence Barraqué, née en 1959, apprend à vivre avec le féminisme après avoir été élevée dans l'idée qu'une Fille était inférieure à un homme. Les impatientes de Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas) sont incarnées par des femmes qui se battent au Sahel pour se libérer du joug des hommes et de la religion, tandis qu'une jeune mère s'échappe d'un milieu traditionaliste dans Bénie soit Sixtine, de Maylis Adhémar (Julliard).
Portraits de femmes
Au-delà de l'émancipation féminine, l'onde de choc post #metoo, très présente dans la production de l'an passé, continue son chemin. Dans son sillage, treize écrivains dont François Begaudeau, auteur également à la rentrée de Un enlèvement (Verticales), signent le recueil de nouvelles Les désirs comme désordres (Pauvert), tandis qu'Alexandra Dezzi interroge dans La colère (Stock) les questions de domination, des désirs et des relations sexuelles entre agression et jouissance. L'effondrement de l'ancien monde et la chute d'un prédateur sexuel, rattrapé par la vague #metoo, vont de pair dans Sept gingembres, un roman de Christophe Perruchas (Rouergue) écrit à hauteur de salaud. Une femme abusée cherche à se réparer et finit par trouver l'apaisement dans Comme une ombre portée, d'Hélène Veyssier (Arléa). Une jeune actrice victime d'abus sexuels par un metteur en scène dont elle croise le chemin se relève grâce à un petit garçon et à ses parents dans Du côté des indiens, d'Isabelle Carré (Grasset). Chez Gilbert Castagna (Onde), la respectable professeure d'université Louise devient tueuse en série pour se venger de l'homme qui l'a violée.
A noter enfin, la profusion de portraits de femmes comme l'insaisissable et secrète Liv Maria, par Julia Kerninon (L'iconoclaste), l'éditrice célibataire au Cœur synthétique de Chloé Delaume (Seuil), la poète aux multiples facettes de Ta mort à moi, de David Goudreault (Philippe Rey), une vieille femme désabusée au cœur d'une nature somptueuse découvrant par effraction le désir et l'amour dans La géante, de Laurence Vilaine (Zulma), les héroïques Janina, Bela et Chana qui, durant la Seconde Guerre mondiale, montent un réseau clandestin pour faire passer des enfants hors du ghetto de Varsovie dans La Chasse aux âmes, de Sophie Blandinières (Plon), Niki de Sainte Phalle romancée par Caroline Deyns avec Trencadis (Quidam) ou encore la Jeanne d'Arc du Sénégal, Aline Sitoé Diatta, icône de la résistance oubliée par l'Histoire que Karine Silla ressuscite dans Aline et les hommes de guerre (L'Observatoire). W P. L.