Quand on parle du "miracle grec", on pense immédiatement aux arts, aux sciences, à la démocratie. Rarement à l’économie. Josiah Ober (université Stanford) vient corriger cette vue réductrice selon lui. Depuis des années, cet éminent professeur américain a renouvelé la vision que l’on avait de cette période située entre le VIe et le IIIe siècle avant J.-C. Dans cette recherche pointue qui fait appel à différentes disciplines des sciences sociales, mais dans un style qui reste accessible, il livre la synthèse de ses travaux et déplace les enjeux de ce "miracle grec" en reformulant la question.
Jusqu’au XVIIIe siècle, si l’on excepte les cités-Etats italiennes des XIVe et XVe siècles et la République hollandaise du XVIe siècle, la domination a été la norme dans la majeure partie du monde, souvent avec la religion comme légitimation du pouvoir autoritaire. Mais d’Homère à Aristote, la Grèce classique, ici nommée Hellade, fait exception à cette règle politique.
Josiah Ober se propose d’expliquer le mécanisme de ces cités-Etats grecques qui installent la démocratie et fonctionnent sur le principe de la coopération, à la faveur d’un modèle économique dynamique. Il montre comment cette "efflorescence hellénique" est arrivée et surtout pourquoi cela nous importe encore aujourd’hui.
Après la guerre du Péloponnèse et le contrôle de ces multiples petites cités-Etats par Philippe II de Macédoine puis Alexandre le Grand, le modèle a perduré, du moins dans les esprits, pour ressurgir sporadiquement en Europe à la Renaissance et au siècle des Lumières.
Pour Josiah Ober, ce "miracle grec" permet de comprendre qu’un ordre social complexe et décentralisé est possible de nos jours. Ceci explique que la fin de cet âge d’or ne marque pas le début de la fin. La chute d’Athènes ne fut pas la chute de Rome. L’économie et les mentalités résistèrent. Il fallut tout de même quelques siècles avant de retrouver la combinaison idéale entre prospérité et démocratie. Il n’y a rien de plus fragile qu’un miracle, grec ou pas. Et, nous dit Josiah Ober, "il est intéressant en soi de savoir pourquoi et comment la Grèce a pris son essor puis s’est effondrée, tout en restant dans la mémoire culturelle du monde".Laurent Lemire