13 mai > Récit France

Jean-Loup Trassard, l’intraterrestre de la Mayenne, où il vit et qu’il a honorée si souvent (dans Eschyle en Mayenne, par exemple), est aussi l’auteur des Derniers paysans. Le voici qui célèbre aujourd’hui Alexandre Houssais, l’un des derniers forgerons, le dernier du village d’Orgères, et à travers lui cette France rurale, bientôt aussi lointaine que la guerre des Gaules.

A 73 ans, après quarante-cinq ans de labeur, Alexandre a bien mérité de se reposer. Ce n’est pas de gaité de cœur qu’il va voir s’éteindre pour la première fois le feu de sa forge, allumé en 1928. Avant la guerre de 14, qu’il a faite, il avait été apprenti, puis commis, suivant le cursus honorum des artisans, apprenant son métier chez des maîtres qui étaient aussi des passeurs, fiers de leur savoir-faire. Mais, dès 1944 avec l’électricité, puis avec l’apparition du tracteur, qui sonna la mort du cheval de labour, le monde d’Alexandre commença de se fissurer. De 3 500 à 4 000 fers à cheval par an, on était arrivé à presque rien. Et l’actuel revival est encore bien timide.

Trassard, un beau jour d’hiver, le dernier d’Alexandre dans sa forge, a choisi de s’y glisser, de sentir cette odeur de corne brûlée des sabots, celle aussi du fer travaillé au marteau, d’entendre les coups réguliers sur l’enclume, ceux du maréchal-ferrant, ceux de son commis. L’écrivain se fait intervieweur, et l’on a plaisir à entendre la voix d’Alexandre raconter son métier, avec ses mots simples et souvent poétiques : "l’enclume sue ", dit-il. Une serpe s’appelait un sermiau, une charrue à double soc un brabant, et couper la queue d’une jument se disait surcouer, verbe dérivé de coeu, comme on écrivait au XIIe siècle, d’après le latin cauda. Mais le latin, comme les forgerons et leur langue, risque de disparaître. Trassard, lui, se réfère plutôt au grec, évoquant, à propos d’Alexandre, Héphaïstos, le dieu forgeron. Un immortel : joli symbole. J.-C. P.

01.05 2015

Auteurs cités

Les dernières
actualités