A 25 ans, Téa Obreht, Serbo-Américaine née à Belgrade, vient de devenir la plus jeune lauréate du l'Orange Prize 2011, après avoir également été, l'année dernière, la cadette de la liste des "20 under 40", les meilleurs romanciers américains de moins de 40 ans, établie par le New Yorker. Auteure de nouvelles, la précoce démontre un savoir-faire impressionnant avec ce premier roman, La femme du tigre, qui, accommodant le réalisme magique à la mode balkanique, relie la réalité traumatisée d'une Europe de l'Est post-guerre à des mythologies ancestrales et reflète ainsi l'identité conflictuelle d'une zone où les violences des années 1990 ont laissé des cicatrices encore fraîches. "La guerre chamboula tout. Une fois dissociées, les composantes de notre ancien pays perdirent leurs caractéristiques de jadis, du temps où elles formaient les parties d'un tout. Ce qui nous était jusque-là commun - les monuments, les écrivains, les scientifiques et les anecdotes -, nous dûmes nous le repartir et nous le réapproprier."
Jeune médecin, Natalia, qui vient d'apprendre la mort de son grand-père maternel, quitte "la Ville" dans un pays de l'ex-Yougoslavie pour Brejevina, nom fictif d'"un petit village côtier à 40 km à l'est de la nouvelle frontière" où, accompagnée de son amie d'enfance Zora - une forte tête, également docteure -, elle doit vacciner les enfants d'un orphelinat.
Dans cet endroit où se côtoient des populations d'origines différentes, tout évoque à la jeune femme ce grand-père dont elle était très proche, qui vient de s'éteindre, malade, seul, dans un hôpital non loin de là mais à des kilomètres de chez lui, dans ce pays pour lui désormais étranger, sans avoir prévenu qui que ce soit des buts de ce dernier voyage. Ce grand-père médecin qui, lorsqu'elle était enfant, l'emmenait toutes les semaines au zoo de la ville pour voir les tigres et ne se séparait jamais d'un vieil exemplaire du Livre de la jungle, avec lequel il avait appris à lire à 9 ans.
Circonstances détaillées et explications ne nous seront révélées qu'au fur et à mesure car, avec un art de conteuse très maîtrisé, Téa Obreht préserve le mystère en alternant les souvenirs et le présent de Natalia, son environnement imprégné de superstitions et les histoires racontées par l'aïeul. En particulier deux récits fondateurs, légendaires, que la jeune femme reconstitue et rapporte à son tour : celui de "la femme du tigre", une jeune sourde, habitant le village natal du grand-père, soupçonnée d'avoir fait disparaître son mari qui la battait, après avoir apprivoisé un tigre échappé d'un zoo ; et celui de "l'homme-qui-ne-mourra-pas", étrange individu se prétendant immortel, que le grand-père affirmait avoir croisé à plusieurs moments de sa vie. Traversent aussi d'authentiques personnages de fable populaire comme Darisa l'Ours, le chasseur taxidermiste, Mica le boucher, le préparateur de cadavres obèse de l'Ecole de médecine, Amana, la jeune vierge de Sarobor, Luka le sensible joueur de guzla devenu brutal... Les acteurs d'une histoire fantastique transmise de grand-père en petite-fille.