Non, il ne s’agit pas d’un addenda au livre de Marcela Iacub ! Il y a pourtant bien un problème entre La République et le cochon. Pierre Birnbaum nous rappelle que, lors de la campagne présidentielle de 2012, une grande partie des débats a porté sur des problèmes de boucherie et d’abattage rituel…
L’historien et sociologue, professeur émérite à l’université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne, ne revient pas sur les discussions relatives à la viande halal. Il s’intéresse aux problèmes soulevés en France par la cacherout, le code alimentaire prescrit dans la Bible hébraïque.
Mais, en remontant au XVIIIe siècle, il montre que tout est lié et que bien des polémiques d’hier sur le judaïsme expliquent en partie celles concernant l’islam aujourd’hui. Dans son anticléricalisme, Voltaire s’en prend vivement aux interdits alimentaires des Juifs. Pour lui, la citoyenneté passe par la table commune. Et celle de la République, dira la Révolution raisonneuse et universelle, ne souffre aucune exclusion alimentaire. Tout le monde devrait donc manger du porc pour être Français ! D’autant que, jusqu’au milieu du XXe siècle, c’est une viande populaire et bon marché que l’on retrouve un peu partout.
Dans cette étude aussi enlevée qu’érudite, Pierre Birnbaum plonge dans une littérature abondante et souvent méconnue pour éclairer ces controverses pendant la Révolution, sous l’Empire ou durant la IIIe République. Il revient longuement et à juste titre sur la dispute déclenchée en pleine affaire Dreyfus par Salomon Reinach. L’un des chefs de file de l’Union libérale israélite estime que les juifs doivent manger du porc pour montrer qu’ils abandonnent des comportements archaïques en ces temps de progrès et sont des adeptes enthousiastes de la République.
D’autres rétorquent au grand savant que, à l’inverse, c’est à la République d’accepter ces rituels qui finissent par se banaliser comme en Angleterre ou aux Etats-Unis. La différence avec ces autres pays tient dans une notion clé : la laïcité.
Le vif essai de Pierre Birnbaum brasse beaucoup de notions essentielles qui aident à mieux comprendre pourquoi il y a à la fois un blocage et une récupération politique autour de ces querelles de bêtes qui dissimulent des intentions bien plus inavouables : le régime nazi comme celui de Vichy interdirent l’abattage rituel - la shehitah - et prohibèrent la viande casher prétendument au nom de la modernité…
La laïcité qui s’impose dans sa version radicale et discriminatoire comme une religion sans dieu voudrait paradoxalement que toutes les autres religions acceptent de laisser leurs dieux au vestiaire du grand banquet républicain pour y célébrer le porc suprême. Non, même au pays de la gastronomie, tout n’est pas bon dans le cochon. Surtout quand on l’utilise pour rehausser la xénophobie et l’intransigeance.
L. L.