Livres Hebdo : Avec ce deuxième préquel, Suzanne Collins continue d’enrichir l’univers d’Hunger Games. Pouvez-vous présenter ce nouveau titre en quelques mots ?
Xavier d’Almeida : Le nouveau tome est consacré à Haymitch, le mentor de Katniss Everdeen. On ne peut pas en dire plus que cela, mais soyez certains qu’il sera question de jeux ! Il s’agit d’un tome vraiment intéressant puisque les gens qui n’ont pas lu la trilogie Hunger Games, ou qui n’ont pas vu les films, peuvent le lire très facilement. L’intrigue se déroule à une date antérieure à la trilogie. On peut donc entrer dans la série par cet ouvrage-ci. Les grands fans de la saga ne seront pas non plus en reste puisque ce nouvel opus fournit un nombre assez incroyable de clins d’œil à l’univers Hunger Games, aux jeux à venir, mais aussi au tome quatre, La ballade du serpent et de l’oiseau chanteur.
Natacha Derevitsky : C’est aussi l’occasion pour les lecteurs de relire la série puisque les premiers tomes sont parus il y a une dizaine d’années déjà ! Et cela permet également à de nouvelles générations qui ne la connaissent pas de la découvrir.
En effet, les trois premiers tomes ont été traduits en français par Pocket Jeunesse en 2009, 2010 et 2011. À ce sujet, pourriez-vous revenir sur votre acquisition de ce qui allait devenir, quelques années plus tard, un phénomène mondial ?
N.D : C’était en 2008. À l’époque, j’avais pour habitude de partir en voyage à Londres et à New-York deux fois par an. Xavier venait d’être nommé directeur de collection, je l’ai donc emmené avec moi à Londres. Après avoir arpenté toute la ville, nous avions un dernier rendez-vous dans une sorte de taverne avec une vendeuse de droits pour Scholastic, qui nous présente un titre susceptible, selon elle, de nous intéresser. Elle nous avait d’ailleurs précisé que certains l’avaient refusé. Le lendemain matin, Xavier me rejoignait, les yeux gonflés. Il avait passé la nuit à lire l’ouvrage !
X.A : À l’époque, j’avais la trouille. On nous imprimait les textes en intégralité et je les empilais dans une valise à roulette. J’avais tellement peur de passer à côté d’un super truc… Je voulais tous les lire, mais cette fois, je n’ai pu en lire qu’un. Coup de bol, celui-là était en haut de la pile !
« Nous avions la sensation d’avoir acquis un ovni dont on ne pouvait soupçonner le succès »
Pourtant, au début, votre enthousiasme n’a pas fait l’unanimité…
N.D : Certaines scènes de l’ouvrage étaient, pour l’époque, extrêmement violentes. Le directeur marketing du Fleuve nous disait d’ailleurs qu’on ne pouvait pas le publier chez PKJ. Mais l’engouement du public était palpable, c’était comme si le sous-sol bougeait déjà, alors nous avons fini par l’acheter assez rapidement. C’était une offre très peu chère qui s’est conclue sur le coin d’une table à Francfort. Nous avions la sensation d’avoir acquis un ovni, un livre très bon, mais dont on ne pouvait soupçonner le succès. D’ailleurs, à la sortie du livre en France, notre directeur financier était un peu déçu. Le démarrage n’était pas à la hauteur de nos espérances. Mais quand le film est sorti, les ventes se sont emballées et nous étions invités sur les plateaux de télévision tous les deux jours. C’était complètement dingue !
Comment ce succès aussi imprévisible que hors-norme a-t-il marqué la maison ?
X.A : Hunger Games est devenu un véritable phénomène mondial et un pilier du fonds PKJ. La trilogie nous a vraiment lancés dans le « Young Adult » qui ciblait, à l’époque, les ados de 12 ans et plus. Avant Hunger Games, nous n’avions pas tellement de succès dans ce domaine. La saga a complètement changé l’image de PKJ, nous donnant un côté plus moderne. Aujourd’hui, les différents volets continuent d’ailleurs à faire l’objet de ventes en poche très régulières chez nous. Au bout du compte, il existe très peu de phénomènes littéraires comme celui-ci, c’est-à-dire capable de durer dans le temps ; hormis Harry Potter et Twilight peut-être.
N.D : Hunger Games a donné une impulsion incroyable à notre marque ! Et pour cause, les ouvrages ont été vendus à plus de 100 millions d’exemplaires à travers le monde et ont été traduits dans une cinquantaine de pays. Chez PKJ, nous l’avons décliné sous toutes les formes possibles : en poche, en coffret, et au format collector avec des jaspages brillants.
« Hunger Games est peut-être le roman fondateur de la dystopie »
Le public français a-t-il été plus réceptif qu’un autre à la parution de la saga littéraire ?
X.A : La France est sans doute le plus gros pays à l’international pour les ventes d’Hunger Games et celui où le succès a été le plus rapide. En Espagne ou en Italie, le « Young Adult » était beaucoup plus traditionnel à cette époque. Hunger Games y était identifié comme un livre pour adulte, ce qui a freiné le succès du titre les premières années. D’autant plus que le film n’était pas encore sorti. À l’inverse, en France, la série littéraire a été un succès de librairie avant même son adaptation sur grand écran, avec pas moins de 80 000 exemplaires écoulés.
La trilogie autour du personnage de Katniss Everdeen a ouvert la voie à un genre longtemps réservé à une poignée d’initiés : la dystopie. Comment ce genre a-t-il transformé la littérature jeunesse ?
X.A : Hunger Games est peut-être le roman fondateur du genre, dans la mesure où il l’a popularisé. À l’époque des premiers volumes, nous nous sommes aperçus que la littérature adolescente puisait, d’une certaine manière, dans la littérature populaire, la science-fiction, la fantasy qui n’avaient alors pas tellement le vent en poupe. La littérature pour ado reprenait donc ces codes-là pour les injecter dans un récit plus facile d’accès. C’est d’ailleurs à ce moment-là que les adultes ont commencé à lire de la littérature ado.
N.D : À l’époque, le mot « dystopie » n’existait pas vraiment. Nous l’avons découvert pour la première fois dans le New York Times. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte que nous avions acheté et refusé de nombreuses dystopies. Je crois que c’est quelque chose qui était dans l’ère du temps, des thématiques que les auteurs flairent et couchent sur papier. À ce sujet, les livres de Suzanne Collins ont une portée très politique. L’autrice s’est inspirée du jeu du Minotaure pour imaginer des jeux cruels à l’issue desquels un seul des participants a le droit de survivre. La série est aussi une dénonciation de la télé-réalité, alors très en vogue à la télévision.
« Suzanne Collins n’est pas le genre d’autrice à qui l’on passe commande »
Environ quinze ans après la parution du premier titre, cette tendance littéraire est-elle toujours aussi attractive ?
X.A : C’est une tendance de fond qui ne s’est jamais vraiment arrêtée. À l’époque, Le Labyrinthe de James Dashner est paru dans le même temps, suivi de Divergent. Il faut dire que le monde dans lequel nous vivons a tout l’air d’une dystopie. Nombreux sont les auteurs qui ont donc envie d’écrire sur ce qui se passe. En ce moment, on nous en propose beaucoup, et certains sont même publiés comme Elia, la passeuse d’âmes de Marie Vareille, dont un nouveau tome paraît bientôt, ou la série Absolu de Margot Dessenne. Toutes deux se sont d’ailleurs beaucoup nourries de l’univers Hunger Games.
Suzanne Collins compte-t-elle poursuivre le développement de cet univers ?
X. A : Suzanne Collins n’est pas le genre d’autrice à qui l’on passe commande. Si elle veut écrire l’histoire du grand méchant, elle le fait. De notre côté, nous avons surtout hâte de faire paraître le livre. La sécurité autour de son secret a été très compliquée. J’étais le seul, avec le traducteur, à pouvoir consulter le projet. Pour ouvrir le fichier, il me fallait donc deux codes d’authentification. Il nous a ensuite fallu faire signer une décharge à l’imprimeur, au correcteur. Même Natacha n’a pas eu le droit de le lire !
N. D : A ce stade, nous n’en savons pas plus. Les informations nous sont souvent divulguées au dernier moment, si bien que nous avons appris l’existence de ce deuxième préquel il y a huit mois à peine. Néanmoins, nous savons d’avance et avec certitude que l’adaptation cinématographique sortira en novembre 2026.