Quel bonheur de ne plus être chroniqueur littéraire! Pouvoir s’abandonner à de langoureux parti pris, à d’implacables crises de mauvaise foi. Après avoir lu un (un !) des livres de la rentrée littéraire je suis en mesure de vous révéler que le Goncourt 2007 sera attribué à Dans la foule de Laurent Mauvignier aux éditions de Minuit. C’est fait, je vous aurais prévenu. D’abord ce roman m’a été adressé par son éditrice, Irène Lindon avec ce délicieux petit mot : « Je ne me suis pas manifestée lors de votre départ et pourtant j’ai pensé beaucoup à vous. » Sympa. Qui dira que Minuit ne connaît rien au marketing ? D’autant que j’aime infiniment l’œuvre de Laurent Mauvignier. Surtout depuis un certain déjeuner bordelais de plus de quatre heures avec force charcuterie, volailles et vins fins. Mais aussi parce celui qui m’intimidait plus encore que je ne l’intimidais est revenu sur les coups de 15h des toilettes en disant : « Je vous conseille d’y aller. Quand on ouvre la porte des oiseaux se mettent à chanter ! » Outre ces deux bonnes raisons pour couronner ce roman piafien (La foule !), Irène Lindon tient là un best-seller en puissance. D’abord parce que c’est un très bon livre (oui, je sais c’est une raison accessoire, mais quand même…). Mais aussi parce que –je vous dis que le marketing a pris le pouvoir aux éditions de Minuit- ce roman parle de… foot. Vous vous rendez compte juste après que résonne le dernier coup de boule de Zizou au Mondial. Seul problème : la polémique qui va renvoyer Houellebecq et ses Tintin salaces en Thaïlande, aux poubelles de l’Histoire. On s’imagine déjà Jorge Semprun, qui encourageait Barcelone contre son Real, hélas franquiste, quand il était responsable clandestin du PC espagnol, prendre fait et cause pour Mauvignier. A l’inverse on entend déjà les soupirs alanguis de Françoise Chandernagor : Le football, le football, donnez-nous l’histoire d’une reine malheureuse, mais pas du football. Et je parie que ce freluquet n’a même pas fait l’ENA. Pouah… On le pressent déjà, la critique va se déchaîner. Etes-vous intellectuel ou sportif, perdu dans les livres ou scotché à la télé, fromage ou dessert ? En ces temps de ballon rond chacun a été sommé de choisir. Face à ce choix imposé, plaisanterie (plaisanterie ?) d’un ami philosophe : « Dans la vie il y a ceux qui croient qu’il y a deux sortes de gens et les autres ». Si l’on voulait bien se débarrasser d’un pseudo marxisme de pacotille qui fait du sport le nouvel opium du peuple, peut-être, pourrait-on reconnaître qu’on peut aimer Zidane et Jim Harrison, Ronaldhino et Alvaro Mutis, Riquelme et Lydie Salvayre. Regardez la jeune classe d’écrivains prometteur s qui pousse en France. Ils ne font pas la fine bouche sur le foot, sans baigner dans les vapeurs viriles des vestiaires de Montherlant. Prix de la Fondation Hachette pour l’émouvant, l’élégant, le foudroyant La canne de Virginia (Actes Sud), Laurent Sagalovitsch, amoureux transi des Verts de Saint-Etienne des années fastes, a commis l’un des meilleurs articles de Libération sur les commentaires de Franck Leboeuf, champion du monde en 1998, et acolyte de Thierry Rolland, sur M6. François Bégaudeau, déjà coupable d’avoir publié un roman évoquant le foot ( Jouer juste , Verticales, 2003) a évoqué dans le JDD les tours et les détours des footeux. Vous vous rendez compte, un agrégé de lettres modernes, couronné de plus par France Culture et Télérama pour Entre les murs (Verticales, 2006) ! Redevenons sérieux un instant. Mauvignier, qu’il ait ou qu’il n’ait pas le Goncourt a écrit un très grand livre. Vous n’êtes pas près d’oublier Geoff, l’Anglais de Liverpool, Jeff et son copain italien Tonino, les Belges Gabriel et Virginie et les amoureux en voyage de noces, Francesco et Tana. Comme vous n’avez pas oublié l’horrible Liverpool-Juventus au stade du Heysel qui fit 39 morts et 600 blessés en 1985. Conclusion au choix. Pour les footeux : « On vit ensemble on meurt ensemble », comme disaient les Bleus. Pour les littéraires, ce secret avoué par Mauvignier à l’auteur de ces lignes : « J’ai arrêté de fumer parce que certains des livres que je veux écrire, je ne pourrais pas les aborder avant que j’aie mes 70-75 ans. »

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